Pour désigner Dieu dans son Être ultime et son essence une, donc dans sa nature commune aux Trois, le mot ousia convenait tout à fait. Mais pour le signifier dans les modalités de son être trinitaire, deux mots que nous connaissons se proposaient. Et chacun non sans inconvénient. Le premier, prosôpon, avait comme désavantage de suggérer que le Père, le Fils et l’Esprit ne sont que des manifestations, des aspects momentanés, des masques, et qu’ils n’ont donc pas de réalité subsistante et éternelle en Dieu. Le second, hypostasis, risquait, pour sa part, de faire éclater Dieu en trois, son emploi pouvant laisser entendre qu’en Dieu existent trois êtres substantiels différents, c’est-à-dire trois dieux. Malgré ce risque majeur, des deux mots prosôpon et hypostasis, ce fut certainement ce dernier qui, pour désigner les Trois, l’emporta, comme en témoigne la formule trinitaire fondamentale consacrée par le concile d’Alexandrie de 362 : "Trois hypostases d’une seule ousia". […]
Sensiblement, à la même époque, à Rome, les lettres de saint Jérôme au pape Damase font état des difficultés auxquelles se heurtèrent les Latins afin de rendre dans leur langue la formule trinitaire retenue par les Grecs. En raison de l’usage et de l’identité de construction des deux mots, le plus naturel certainement eût été de traduire hypostasis par substantia. Mais ce dernier mot, nous le savons, traduisait déjà le grec ousia ! Aussi, à défaut de ne rien dire de sensé de la Trinité, fallait-il absolument trouver un autre terme. Le mieux eût été assurément d’en inventer un nouveau, ou d’en choisir un autre. Mais hélas ! l’histoire ne le voulut pas ainsi : ce fut persona que l’on retint comme traduction officielle et définitive d’hypostasis. Ce choix avait pour lui d’être en harmonie avec l’usage de la théologie grecque, qui continuait de penser les Trois simultanément en termes d’hypostase et de prosôpon. Car, ainsi que nous le savons, persona et prosôpon ont même signification et même histoire. Cette traduction, cependant, n’en allait pas moins devenir le ferment de deux conséquences redoutables, dont la première fut d’inciter l’Occident à penser Dieu à travers une notion dont l’une des connotations essentielles, qu’on le veuille ou non, était autrefois, et demeure aujourd’hui, celle d’individu.
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Info: La drachme perdue, éditions Grégoriennes, 2010, pages 123-124
Commentaires: 1
miguel
16.11.2024
noms de Dieu ?