sécularisation

Ce qui caractérise le catholicisme, à certains égards, c’est qu’il engage le fidèle dans une tension permanente de l’âme, dans un appel à la sainteté, dans une aventure spirituelle si haute qu’elle ne peut d’abord que nous démontrer notre faiblesse et notre impuissance : nous devons mériter le Ciel et cependant "à l’homme cela est impossible" (Mt 19, 26). Ensuite, il plonge le fidèle dans une société ecclésiale complexe et hiérarchisée où il entre en relation avec de multiples instances et personnes, et où l’on doit, par exemple, distinguer entre la hiérarchie d’ordre et la hiérarchie de juridiction, entre la Tradition, l’Ecriture, le Magistère, la formulation dogmatique et la recherche théologique, etc. Enfin le chrétien est invité à vivre dans un univers rituel et sacré richement diversifié, où le septénaire sacramentel se différencie de la multitude des sacramentaux, où la prière liturgique et le culte sacrificiel s’entourent et se prolongent d’une foule de dévotions et de pratiques. L’adhésion à ce Corps immense exige, chaque fois, nuance, discrimination, foi multipliée et modulée selon la nature de son objet. La religion luthérienne, au contraire, est "raisonnable" parce qu’elle supprime toute notion de mérite (Dieu nous sauve sans nous) ; elle réduit la société ecclésiale à la collectivité des individualités croyantes (abolition du sacerdoce et du pouvoir de juridiction) ; enfin, elle nie toute présence du surnaturel dans l’ordre naturel (d’où dérivait la multiplicité de ses degrés) ou du moins le réduit au strict minimum : la foi présente dans l’âme chrétienne et le Christ présent dans le pain et le vin du "mémorial". Quoi de plus raisonnable, de plus "acceptable" que cette conception ? Elle fait droit à la "folie de la croix" et aux aspirations mystiques, concentrées dans un unique acte de foi […] en même temps qu’elle rejette tout le reste et donc prévient radicalement toutes les occasions de refus dont profite le rationalisme moderne. Sans doute Luther est-il l’adversaire farouche de la philosophie et de la raison […]. Mais ce qu’il réprouve si violemment, c’est l’usage de la raison dans l’ordre de la foi, c’est-à-dire en théologie, où l’on ne doit parler que le langage de l’Ecriture. Dans l’ordre naturel, il n’en va pas ainsi, et lui-même se flatte d’être aussi bon dialecticien que personne.

Il résulte de ce fait que la religion protestante est moins un nouveau christianisme qu’un catholicisme réformé, "débarrassé de tout ce qui l’encombrait inutilement" et ramené à une certaine (et prétendue) simplicité originelle, ce qui signifie, objectivement, un catholicisme diminué. […] mis à part la personnalité de son fondateur, rien de bizarre ou de fondamentalement scandaleux (pour la raison moderne) dans le protestantisme, dès lors qu’on admet le fait de la croyance en Dieu, en Jésus-Christ et dans son Evangile.

Et c’est pourquoi Kant nous paraît un bon luthérien lorsqu’il décrit une "religion dans les limites de la simple raison" (et non de la raison critique) [raison raisonnable et non raison raisonnante]. En faisant servir la raison au travail théologique, saint Thomas la soumet à la foi et la surnaturalise. En excluant la raison du seul domaine de la foi, Luther lui donne la liberté de régner en maîtresse dans toute le reste et, en particulier, dans tout ce qui, de la religion, ne relève pas de la foi purement subjective.

Auteur: Borella Jean

Info: Le sens du surnaturel, L'Harmattan, 1997, pages 50 à 53

[ différences ] [ caractéristiques ] [ rationalité ] [ réforme ]

 

Commentaires: 2

Ajouté à la BD par Coli Masson

Commentaires

miguel, filsdelapensee@bluewin.ch
2024-09-06 20:45
Même si réformé est dans le texte on pourrait quand même mettre réforme en tag je pense
Coli Masson, colimasson@live.fr
2024-09-10 13:02
dakodak