mythe moderne

Les gens en général, bien qu’on leur enseigne certains des plus grossiers et des plus anciens résultats de la science, ont toujours eu peu ou pas de compréhension de ce qu’est réellement la science en tant que méthode. Cette ignorance a été perpétuée par tout l’enseignement primaire, secondaire, et même par l’importante partie de l’enseignement universitaire qui ne constitue pas une préparation à la recherche : la science y est enseignée dogmatiquement, comme une vérité révélée. Aussi, le pouvoir du mot "science" sur l’esprit du grand public est-il d’essence quasi mystique et certainement irrationnel. La science est, pour le grand public et même pour beaucoup de scientifiques, comme une magie noire, et son autorité est à la fois indiscutable et incompréhensible.

Ceci rend compte de certaines des caractéristiques du scientisme comme religion. En tant que tel, il est tout aussi irrationnel et émotionnel dans ses motivations, et intolérant dans sa pratique journalière, que n’importe laquelle des religions traditionnelles qu’il a supplantées. Bien plus, il ne se borne pas à prétendre que seuls ses propres mythes sont vrais ; il est la seule religion qui ait poussé l’arrogance jusqu’à prétendre n’être basée sur aucun mythe quel qu’il soit, mais sur la raison seule, et jusqu’à présenter comme "tolérance" ce mélange particulier d’intolérance et d’amoralité qu’il promeut.

Aux yeux du grand public, les prêtres et les grands prêtres de cette religion sont les scientifiques au sens large, plus généralement les technologues, les technocrates, les experts. Mais la langue de cette religion sera pour toujours incompréhensible au peuple, d’autant que ce n’est pas même une langue, mais des milliers de langues différentes, chacune n’étant que le jargon technique particulier d’une spécialité donnée.

L’immense majorité des scientifiques sont tout à fait prêts à accepter leur rôle de prêtres et de grands prêtres de la religion dominante d’aujourd’hui. Plus que n’importe qui, ils en sont imbus, et cela d’autant plus qu’ils sont plus haut situés dans la hiérarchie scientifique. Ils réagiront à toute attaque contre cette religion, ou d’un de ses dogmes, ou d’un de ses sous-produits, avec toute la violence émotionnelle d’une élite régnante aux privilèges menacés. Ils font partie intégrante des pouvoirs en place quels qu’ils soient, auxquels ils s’identifient intimement et qui tous s’appuient fortement sur leurs compétences technologiques et technocratiques.

Auteur: Grothendieck Alexandre

Info: Survivre... et vivre n°9, août-septembre 1971

[ discours dominant ] [ glissement symptomatique ] [ critique ]

 

Commentaires: 1

Ajouté à la BD par Coli Masson

Commentaires

miguel, filsdelapensee@bluewin.ch
2024-05-29 06:47
hiérarchies nocives, anthropocentrisme, néfaste rationalité...