- Voulez-vous que je vous dise exactement, mon oncle, quel homme est Bazarov ?
-Je t'en prie, mon chère neveu.
-Il est nihiliste.
-Comment ? demandant Nicola Petrovitch [...]
-Il est nihiliste, répéta Arkadi.
-Nihiliste, dit Nicola Pétrovitch, cela vient du latin 'nihil',' rien', autant que je puis en juger; donc ce mot désignerait un homme qui...qui ne veut rien reconnaître ?
-Dis plutôt : qui ne respecte rien, rectifia Paul Petrovitch [...]
-Qui envisage tout d'un point de vu critique, précisa Arkadi.
-N'est-ce pas la même chose ? demanda Paul Petrovitch
-Non, pas du tout. Un nihiliste, c'est un homme qui ne s'incline devant aucune autorité, qui ne fait d'aucun principe un article de foi, quel que soit le respect dont ce principe est auréolé.
-Et l’on s’en trouve bien ? l’interrompit Paul Pétrovitch.
-Tout dépend de l’individu, mon oncle. Certains s’en trouvent bien, et d’autres très mal.
-Tiens donc. Allons, cela n’est pas de notre ressort, à ce que je vois. Nous autres, gens de l’ancien temps, nous estimons que sans principes […] reconnus comme des articles de foi, pour reprendre ton expression, il est impossible de faire un pas, impossible de respirer. Vous avez changé tout cela, Dieu vous le rende et vous donne le grade de général ; nous nous contenterons de vous admirer, messieurs les…comment, déjà ?
-Nihilistes, articula distinctement Arcade.
-Oui. Nous avons eu les hégélistes, voici maintenant les nihilistes. On verra bien comment vous subsisterez dans le désert, dans le vide absolu ; pour le moment, sonne donc, s’il te plaît, Nicolas Pétrovitch, mon frère ; c’est l’heure de mon cacao.
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Info: Pères et fils, traduction de Françoise Flamant, éditions Gallimard, 1982, pages 54-55
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