Dans mes vagues souvenirs, du temps où j’avais cinq ou six ans, je vois le plus souvent, avec dégoût naturellement, autour d’une table ronde un conclave de femmes intelligentes, sévères et moroses, des ciseaux, des étoffes, des patrons et des figures de mode. Tout ce monde discute et raisonne, en hochant gravement et lentement la tête, tout en mesurant, calculant et se préparant à couper. Tous ces visages caressants, qui m’aiment tant, sont tout à coup devenus inabordables ; que je commette la moindre espièglerie, et on me chassera aussitôt. Même ma pauvre bonne, qui me soutient de la main et a cessé de répondre à mes cris et à mes tiraillements, est tout yeux et tout oreilles comme en face d’un oiseau du paradis. Eh bien ! cette sévérité sur des visages intelligents, cet air grave avant de commencer la coupe, j’éprouve comme une souffrance, aujourd’hui encore, en y pensant. Tatiana Pavlovna, vous aimez passionnément couper ! Si aristocratique que ce soit, j’aime pourtant mieux une femme qui ne fait rien du tout. ne prends pas cela pour toi, Sofia... Mais à quoi bon ? La femme n’a pas besoin de cela pour être une grande puissance.
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Info: "L'Adolescent", éditions Gallimard, 1998, traduit par par Pierre Pascal, page 112
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