On m’entoure, on me questionne,
Des gens que je croise à la promenade, qui veulent connaître l’influence de ma petite enfance sur ma vie, ou bien du quartier, de la ville, de la nation que j’habite,
Mes dernières rencontres, découvertes, inventions, fréquentations, auteurs jeunes ou vieux,
Ce que je mange au dîner, ma façon de me vêtir, mes amis, mers opinions, mes préférences, mes frais,
L’indifférence réelle ou imaginaire d’un tel ou d’une telle de mes amis à mon égard,
La maladie d’un de mes proches ou de moi-même, un malheur, une perte, un manque d’argent, une dépression, un enthousiasme,
Les affres d’une querelle fratricide, l’exagération d’une rumeur, l’ironie des évènements ;
Toutes ces questions m’assaillent nuit et jour puis s’en vont comme elles viennent,
Mais cela n’est pas moi, le Moi réel.
Celui que je suis est toujours à l’écart de la mêlée,
Regarde d’un air amusé, éprouve de la connivence, de la compassion, ne fait rien, se solidarise,
Méprise de toute sa hauteur, se raidit, s’accoude sur le premier support ferme venu,
Tourne son profil de trois quarts, curieux de voir la suite,
A la fois dans le jeu et hors du jeu, simultanément, qu’il contemple avec stupeur.
Du fond du passé me reviennent mes laborieux efforts pour sortir du brouillard à l’aide des sophistes et des linguistes,
Je ne critique ni ne moque personne, je suis un témoin impassible.
Auteur:
Info: Dans "Feuilles d'herbe", Chanson de moi-même, traduction Jacques Darras, éditions Gallimard, 2002, pages 67-68
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