[...] et je me rappelle de toi bourrée sur le lit
dans cette chambre d’hôtel minable
avec personne aux côtés de qui vivre excepté moi,
quel enfer laborieux ça a dû
être, se coltiner
un jeune poivrot de dix ans ton cadet
qui faisait les cent pas en caleçon
cherchant des noises aux dieux sourds
et éclatant des verres contre les murs.
tu t’es certainement retrouvée au mauvais endroit
au mauvais moment,
ton mariage agonisant sur des carrelages
crasseux
et toi
qui te faisais tringler par un
crétin barbu terrorisé par la
vie, résigné devant l’adversité, cette
chose
qui faisait les cent pas, roulait une cigarette mouillée
avec son haleine de rat, et qui
s’arrêtait pour
ouvrir une autre bouteille de vin
bon marché.
les rivières mortes de nos vies,
des cœurs comme des pierres.
verse le sang rouge du vin.
jure, grogne, gémis, chante
dans cette chambre d’hôtel minable.
toi au réveil... "Hank ?"
"ouais... ici... qu’est-ce que tu veux
putain ?"
"bon dieu, file-moi à boire... "
le gâchis
malgré tout le courage
de se prêter au jeu.
comment on va payer le loyer en retard ?
je trouverai un boulot.
tu trouveras un boulot.
ouais, aucune chance. aucune foutue
chance
de toute façon, une quantité de vin suffisante vous évite
de penser.
je casse un grand verre de vin contre le
mur.
le téléphone sonne.
c’est encore le réceptionniste :
"M. Chinaski, je dois vous prévenir... "
"AH, VA PRÉVENIR LA CHATTE A TA MERE !"
le téléphone qui claque.
la puissance.
je suis un homme
tu m’aimes bien, tu aimes ça.
et, j’ai aussi un cerveau, je te l’ai
toujours dit.
"Hank ?"
"ouais ?"
"combien de bouteilles il nous reste ?"
"3."
"bien."
les cent pas, les yeux dans le vide, cherchant
à vivre.
le poison pleure des souvenirs lumineux.
4e étage d’un hôtel de seconde zone, les fenêtres
ouvertes sur la ville de l’enfer, le souffle précieux
des pigeons solitaires.
toi, bourrée sur le lit, moi jouant au miracle,
des bouchons de bouteilles de vin et des cendriers remplis.
c’est comme si tout le monde était mort, tout le monde est
mort avec la tête sur les épaules,
à nous de surmonter la gesticulation du
néant.
regarde-moi en caleçon et maillot de corps,
les pieds en sang bardés d’éclats de verre,
il y a toujours une issue possible avec
3 bouteilles
au garage.
Auteur:
Info: Dans "Tempête pour les morts et les vivants", au diable vauvert, trad. Romain Monnery, 2019, " les jours de gloire"
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