J'écris, triste, dans ma chambre paisible, seul comme je l'ai toujours été, seul comme toujours je le serai. Et je me demande si ma voix, chose apparemment si insignifiante, n'incarne pas la substance de milliers de voix, l'avide besoin de se raconter des milliers de vies, la patience de millions d'âmes, soumises comme la mienne au destin quotidien, au rêve inutile, à l'espoir sans lendemain. Dans ces moments-là mon cœur bas plus fort par la conscience que j'en ai. Je vis plus car je vis plus grand. Je sens en ma personne une force religieuse, une espèce d'oraison, un semblant de clameur. Mais la réaction contre moi-même émane de mon intelligence... Je me vois à ce quatrième étage de la Rua dos Douradores, je sens que j'ai sommeil ; je regarde, sur ma feuille de papier à moitié rédigée, ma main dépourvue de beauté, et la cigarette bon marché que la gauche promène sur mon vieux buvard. Moi, ici, à ce quatrième étage, en train d'interpeller la vie ! de dire ce que les âmes sentent ! de faire de la prose comme les génies et les hommes célèbres ! Ici, moi, comme ça !...
Auteur:
Info: Livre(s) de l'Inquiétude, pp 265-266. Trad : Marie-Hélène Piwnik. Christian Bourgeois éditeur 2018
Commentaires: 0