Oui, certes, la matière est grave, presque triste, digne d'analyse surtout. Le fait que je vais vous révéler a, en effet, pour point de départ, l'existence d'une fatalité s'ajoutant au lourd faisceau déjà des fatalités humaines et longtemps méconnues par les observateurs superficiels. L'alphabet - ça a l'air innocent un alphabet : eh bien ! c'est tout simplement un succédané, comme disent les apothicaires, de la boîte de Pandore - est une source insondable de maux mystérieux ; car dans ses vingt-quatre caractères, chacun de nous a une lettre qui lui porte malheur. Ne vous récriez pas ! Voilà vingt ans que je pioche ma découverte et je suis sûr de ce que j'avance aujourd'hui. J'avais été moi-même l'objet de ma première observation. Mes maîtresses ne me trompaient jamais (oh ! non, elles s'en gênaient, les pauvres !) qu'avec des gens dont le nom commençait par un B. Bientôt je ne leur en voulus plus, car je sentais qu'elles subissaient, comme moi, une loi supérieure à leur volonté. Mais je ne leur aurais pas passé, par exemple, un amant ayant un C ou un D pour initiale. Je me contentai de fuir comme la peste les bonshommes qui s'appelaient Benoît, Bertrand, Barnabé, etc... Et maintenant encore, quand passant devant un corbillard surmonté d'un écusson, je vois un B se prélassant parmi les draperies noires, j'ai un accès secret et coupable de joie mauvaise, quelque chose comme une voix qui me dit intérieurement : Enfin ! en voilà encore un de moins !
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Info: in "Histoires réjouissantes", éd. A la Librairie illustrée, p. 143-144
Commentaires: 3
Coli Masson
02.10.2020
Merci pour vos explications, je n'ai pas l'esprit assez souple pour une telle gymnastique grammaticale. J'espère que vous m'excuserez ma paresse.
Benslama
30.09.2020
Du souci ? - dans la vie, faut pas s'en faire : moi, je n' m'en fais pas ! :-) (il est bien oublié, Maurice Chevalier...) C'est bien "est une source", mais il faut reconnaître que la phrase est assez mal fichue : tout ce qui est entre les deux tirets, forme en fait une parenthèse (de "ça a l'air" jusqu'à "Pandore"), ce qui, pour la phrase principale, nous donne : "l'alphabet (...) est une source insondable..." - Armand Silvestre, ce "poète modique", ainsi que le désigne J.Y. Jouannais, s'est laissé aller, sur la fin de sa vie, à des écrits farcesques, où la rigueur du style n'est pas toujours irréprochable... là, il a compliqué sa phrase d'une manière assez lourde - je n'ai pas osé remplacer les tirets par des parenthèses, qui rendraient la phrase plus lisible...
Coli Masson
30.09.2020
Vous avez du souci à vous faire Benslama... "est une source insondable de maux mystérieux" ou "et une source insondable..." ?