Notre raison, par ses vérités propres, fait de notre monde le royaume enchanté du mensonge. Nous vivons tous comme des ensorcelés, et nous le sentons. Mais ce que nous craignons surtout, c’est le réveil, et les efforts que nous faisons pour rester dans notre engourdissement, aveuglés par Dieu ou, pour mieux dire, par les "vérités" que cueillit notre aïeul sur l’arbre défendu, nous les considérons comme l’activité naturelle de notre âme.
Nous considérons comme nos amis et bienfaiteurs ceux qui nous aident à dormir, qui nous bercent, qui glorifient notre sommeil, tandis que dans ceux qui essaient de nous réveiller nous voyons nos pires ennemis et une sorte de malfaiteurs. Nous ne voulons pas penser, nous ne voulons pas étudier nous-mêmes, pour ne pas voir la vraie réalité. C’est pourquoi l’homme préfère tout à la solitude.
Il recherche ses pareils, les hommes qui rêvent, dans l’espoir que les "rêves en commun" (Pascal n’a pas craint de parler de "rêves en commun") l’affermiront encore en ses illusions. Par conséquent, l’homme hait surtout la Révélation, car la Révélation c’est le "réveil", la libération des chaînes imposées par les vérités "immatérielles", auxquelles les descendants d’Adam déchu se sont tellement habitués qu’en dehors d’elles, la vie même leur paraît inconcevable. La philosophie voit le bien suprême dans un repos que rien ne trouble, c’est-à-dire dans un sommeil profond sans visions inquiétantes.
C’est pourquoi elle écarte d’elle avec tant de soin l’incompréhensible, l’énigmatique et le mystérieux, et évite tellement les questions pour lesquelles elle n’a pas de réponses toutes prêtes.
Auteur:
Info: La nuit de Gethsémani : Essai sur la philosophie de Pascal
Commentaires: 0