Nous savons que le discours de SOCRATE, même répété par des enfants, par des femmes, exerce un charme si l’on peut dire, sidérant. C’est bien le cas de le dire : "Ainsi parlait Socrate". Une force s’en transmet "qui soulève ceux qui l’approchent" disent toujours les textes platoniciens, bref, au seul bruissement de sa parole, certains disent "à son contact".
Remarquez-le encore, il n’a pas de disciples, mais plutôt des familiers, des curieux aussi, et puis des ravis, frappés de je ne sais quel secret, des santons comme on dit dans les contes provençaux et puis, les disciples des autres aussi viennent, qui frappent à la porte. PLATON n’est d’aucun de ceux-là, c’est un tard-venu, beaucoup trop jeune pour n’avoir pu voir que la fin du phénomène. Il n’est pas parmi les proches qui étaient là au dernier instant, et c’est bien là la raison dernière - il faut le dire en passant très vite - de cette cascade obsessionnelle de témoignages où il s’accroche chaque fois qu’il veut parler de son étrange héros :
"Un tel l’a recueilli d’un tel qui était là, à partir de telle ou telle visite où ils ont mené tel ou tel débat."
"L’enregistrement sur cervelle, là je l’ai en première, là en seconde édition".
PLATON est un témoin très particulier. On peut dire "qu’il ment" et d’autre part "qu’il est véridique même s’il ment" car, à interroger SOCRATE, c’est sa question à lui, PLATON, qui se fraye son chemin. PLATON est tout autre chose. Il n’est pas un "va nu pieds", ce n’est pas un errant. Nul dieu ne lui parle ni ne l’a appelé, et à la vérité, je crois qu’à lui, les dieux ne sont pas grand-chose.
PLATON est un maître, un vrai, un maître témoin du temps où la cité se décompose, emportée par la rafale démocratique, prélude au temps des grandes confluences impériales. C’est une sorte de SADE en plus drôle. On ne peut même pas - naturellement, comme personne - on ne peut jamais imaginer la nature des pouvoirs que l’avenir réserve : les grands bateleurs de la tribu mondiale, ALEXANDRE, SELEUCIDE, PTOLÉMÉE, tout cela est encore à proprement parler impensable. Les militaires mystiques, on n’imagine encore pas ça !
Ce que PLATON voit à l’horizon, c’est une cité communautaire tout à fait révoltante à ses yeux comme aux nôtres. Le haras en ordre, voilà ce qu’il nous promet dans un pamphlet qui a toujours été le mauvais rêve de tous ceux qui ne peuvent pas se remettre du discord toujours plus accentué, de "l’ordre de la cité" avec "leur sentiment du bien". Autrement dit, ça s’appelle La République et tout le monde a pris cela au sérieux : on croit que c’est vraiment ce que voulait PLATON !
[…] Je crois qu’on a raison de lire le texte de PLATON sous l’angle de ce que j’appelle le dandysme : ce sont des écrits pour l’extérieur, j’irai jusqu’à dire qu’il jette aux chiens que nous sommes, les menus "bons ou mauvais morceaux", débris d’un humour souvent assez infernal, mais il est un fait : c’est qu’il a été entendu autrement.
C’est que le désir chrétien, qui a si peu à faire avec toutes ces aventures, ce désir chrétien dont l’os, dont l’essence est dans la résurrection des corps (il faut lire Saint AUGUSTIN pour s’apercevoir de la place que ça tient), que ce désir chrétien se soit reconnu dans PLATON, pour qui le corps doit se dissoudre dans une beauté supraterrestre et réduite à une forme - dont nous allons parler tout à l’heure - extraordinairement décorporalisée, c’est le signe évidemment qu’on est en plein malentendu.