médecin-patient
Au vrai, ce qui, sous prétexte de bonté, incitait le docteur à glisser des conseils à Alain, c’était la peur. Il évitait avec soin de se charger de véritables mélancolies et s’en tenait à des fatigues paisibles et cossues ; aussi il n’avait accepté la charge d’un toxicomane comme Alain, qu’à cause de la recommandation éblouissante d’une dame fort riche.
D’ailleurs, Alain lui-même en avait aussitôt imposé au collectionneur qui avait vu en lui un dandy spleenétique de la parenté de messieurs Chateaubriand et de Constant, en même temps qu’un exemplaire à voir enfin de près de cette mystérieuse jeunesse contemporaine. Alain ne lui en faisait pas moins peur pour cela, bien au contraire ; il tremblait qu’Alain lui portât soudain il ne savait quel coup. Il roulait sans cesse autour de lui ses gros yeux fascinés. Il sentait dans ce garçon, pour le moment poli et gentil, toutes les forces dangereuses qui rôdent à travers la vie et la société, et dont il se tenait à distance dans cet asile fait d’abord pour lui-même — où, par malheur, il s’était enfermé avec les frénésies de sa femme. Alain était presque toujours affable avec lui ; le docteur lui en savait gré ; mais il n’en était pas rassuré et craignait toujours de voir apparaître un éclair de gouaillerie et de cruauté sous ces paupières volontairement appesanties. Il avait le vague sentiment qu’Alain aurait pu lui dire quelque chose qui l’aurait humilié pour longtemps.
Auteur:
Drieu La Rochelle Pierre
Années: 1893 - 1945
Epoque – Courant religieux: industriel
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Europe - France
Info:
Le feu follet, éditions Gallimard, 2015, pages 41-42
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rapports de forces
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crainte
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méfiance
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