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réciprocité

Puisque ALCIBIADE sait déjà que de SOCRATE il a le désir, que ne présume-t-il mieux et plus aisément de sa complaisance ? Que veut dire ce fait qu’en quelque sorte, sur ce que lui, ALCIBIADE, sait déjà, à savoir que pour SOCRATE il est un aimé, un ἐρώμενος [erômenos], qu’a-t-il besoin sur ce sujet de se faire donner par SOCRATE le signe d’un désir ? Puisque ce désir est en quelque sorte reconnu - SOCRATE n’en a jamais fait mystère dans les moments passés - reconnu et de ce fait connu, et donc, pourrait-on penser, déjà avoué, que veulent dire ces manœuvres de séduction développées avec un détail, un art et en même temps une impudence, un défi aux auditeurs ? 

[…] si SOCRATE s’est montré depuis toujours l’ἐραστής [erastès] d’ALCIBIADE, sans doute nous paraîtra-t-il - dans une perspective post-socratique nous dirions : dans un autre registre – que c’est un grand mérite que ce qu’il montre, et que le traducteur du Banquet pointe en marge, sous le terme de "sa tempérance". 

Mais cette tempérance n’est pas non plus dans le contexte quelque chose qui soit indiqué comme nécessaire. Que SOCRATE montre là sa vertu, peut-être ! Mais quel rapport avec le sujet dont il s’agit, s’il est vrai que ce qu’on nous montre à ce niveau c’est quelque chose concernant le mystère d’amour. En d’autres termes, vous voyez de quoi j’essaie de faire le tour : de cette situation, de ce jeu, de ce qui se développe devant nous dans l’actualité du Banquet, pour en saisir à proprement parler la structure. Disons tout de suite que tout dans la conduite de SOCRATE indique que le fait que SOCRATE en somme se refuse à entrer lui-même dans le jeu de l’amour est étroitement lié à ceci, qui est posé à l’origine comme le terme de départ : c’est que lui sait. C’est même, dit-il, "la seule chose qu’il sache" : il sait ce dont il s’agit dans les choses de l’amour. Et nous dirons que : c’est parce que SOCRATE sait, qu’il n’aime pas. 

[…] ce que SOCRATE refuse de montrer à ALCIBIADE c’est quelque chose qui prend un autre sens, qui serait proprement la métaphore de l’amour en tant que SOCRATE s’admettrait comme aimé et je dirai plus, s’admettrait comme aimé inconsciemment.

C’est justement parce que SOCRATE sait, qu’il se refuse à avoir été - à quelque titre, justifié ou justifiable, que ce soit - ἐρώμενος [erômenos], le désirable, ce qui est digne d’être aimé. Ce qui fait qu’il n’aime pas, que la métaphore de l’amour ne peut pas se produire, c’est que la substitution de l’ἐραστής [erastès : aimant] à l’ἐρώμενος [erômenos : aimé], le fait qu’il se manifeste comme ἐραστής [erastès] à la place où il y avait l’ἐρώμενος [erômenos : aimé], est ce à quoi il ne peut que se refuser. Parce que pour lui, il n’y a rien en lui qui soit aimable, parce que son essence est cet οὐδὲν [ouden], ce vide, ce creux, pour employer un terme qui a été utilisé ultérieurement dans la méditation néo-platonicienne et augustinienne, cette κένωσις [kénosis] qui représente la position centrale de SOCRATE.

[…] Vous saisissez donc bien, je pense, ce qu’ici j’entends dire : c’est que la structure constituée par la substitution, la métaphore réalisée constituant ce que j’ai appelé le miracle de l’apparition de l’ἐραστής [erastès: aimant] à la place même où était l’ἐρώμενος [erômenos : aimé], c’est ici ce dont le défaut, fait que SOCRATE ne peut que se refuser à en donner, si l’on peut dire, le simulacre. C’est-à-dire qu’il se pose devant ALCIBIADE comme ne pouvant alors lui montrer les signes de son désir pour autant qu’il récuse d’avoir été lui-même, d’aucune façon, un objet digne du désir d’ALCIBIADE, ni non plus du désir de personne.

Aussi bien observez que le message socratique, s’il comporte quelque chose qui a référence à l’amour, n’est certainement pas en lui-même fondamentalement quelque chose qui parte, si l’on peut dire, d’un centre d’amour. SOCRATE nous est représenté comme un ἐραστής [erastès : aimant], comme un désirant, mais rien n’est plus éloigné de l’image de SOCRATE que le rayonnement d’amour qui part, par exemple, du message christique. Ni effusion, ni don, ni mystique, ni extase, ni simplement commandement n’en découlent. Rien n’est plus éloigné du message de SOCRATE que "tu aimeras ton prochain comme toi-même", formule qui est remarquablement absente dans la dimension de ce que dit SOCRATE. Et c’est bien ce qui a frappé depuis toujours les exégètes, qui en fin de compte dans leurs objections à l’ascèse proprement de l’ἔρως [erôs], disent que ce qui est commandé c’est : "tu aimeras avant tout dans ton âme ce qui t’est le plus essentiel". 

Bien sûr il n’y a là qu’une apparence. Je veux dire que le message socratique tel qu’il nous est transmis par PLATON ne fait pas là une erreur puisque la structure, vous allez le voir, est conservée. Et c’est même parce qu’elle est conservée qu’elle nous permet aussi d’entrevoir de façon plus juste le mystère caché sous le commandement chrétien. 

Auteur: Lacan Jacques

Info: 8 février 1960

[ leurre ] [ impossible ] [ demande ] [ réponse ] [ agalma ] [ non-savoir ] [ manque ] [ inscientia ] [ philosophie antique ] [ christianisme ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson