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cas clinique

Emile Schwyzer avait été admis au Burghölzli le 27 octobre 1901. Agé de presque quarante ans, il avait passé près de vingt ans dans d’autres institutions psychiatriques. Ses délires avaient commencé en 1882, peu après son arrivée en Angleterre où il avait trouvé un emploi de coursier dans une banque. Licencié au bout de six mois pour une raison inconnue, il souffrit peu après de délires sporadiques et tenta de se suicider en se tirant une balle dans la tête. […]

Schwyzer "se prenait pour Dieu" et il était perturbé à l’idée qu’étant "le Seigneur", il avait l’ "obligation de distribuer sa semence, car autrement le monde courrait à sa perte". Généralement il ajoutait : "C’est ça le plus fou !" avant d’éclater de rire comme s’il s’agissait d’une blague entre les médecins et lui. Ce qui le rendait unique aux yeux de Jung, c’était le délire qui suivait toujours ses crises liées à la semence divine : systématiquement, il proclamait être "capable de décider du temps qu’il allait faire". Si on lui demandait comment il s’y prenait, il répondait que le soleil avait un gigantesque phallus : il lui suffisait de le regarder avec les yeux mi-clos et en tournant la tête de gauche à droite pour le mettre en branle, créant ainsi le vent et par conséquent le temps. Accompagnés de grands gestes et d’enjolivements, ces explications étaient formulées dans un langage archaïque sans aucun rapport avec sa vie en Suisse, ni rien qui concernait son séjour en Angleterre. Jung était très intrigué. […]

Cette idée lui était restée "absolument incompréhensible" jusqu’au moment où il était tombé sur un livre d’Albrecht Dieterich relatif à la liturgie de Mithra, évoquant notamment ses visions délirantes. […] Il trouvait que cette étonnante vision "d’un tuyau pendant du soleil [faisait] dans la liturgie de Mithra une étrange impression si l’on ne donnait à ce tuyau un sens phallique : le tuyau est le lieu d’origine du vent. Au premier abord, on ne saisit pas le sens phallique de cet attribut. Mais souvenons-nous que le vent, comme le soleil, est créateur. […] le tube est le lieu d’origine du vent qui se tourne tantôt vers l’est, tantôt vers l’ouest, et, peut-être, produit le vent convenable. La vision du malade concorde étrangement avec le mouvement du tube." En menant ses recherches, Jung découvrit la représentation suivante, d’un peintre allemand anonyme du XVe siècle : "[…] du ciel descend un tube, ou un tuyau, qui se glisse sous la robe de Marie ; dans ce tube vole, sous une forme de colombe, le Saint-Esprit venant féconder la mère de Jésus."  Cette observations et "quelques autres" convainquirent Jung qu'il ne s'agissait pas "d'une caractéristique de race, mais d'un trait généralement humain" ; il ne s'agissait pas non plus "le moins du monde de représentations héritées", mais d'une disposition fonctionnelle à produire des représentations semblables ou analogues". Plus tard il nommerait cette disposition "archétype" [...].

Auteur: Jung Carl Gustav

Info: Dans "Jung", trad. de l’anglais par Martine Devillers-Argouarc’h, éd. Flammarion, Paris, 2007, pages 267-272

[ genèse d'un concept ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson