gauche caviar
Dans ma génération, parmi ceux qui avaient défilé entre République et Nation, parmi tous les enfants chéris du mitterrandisme, beaucoup s'étaient droitisés pour des raisons essentiellement économiques. Ils avaient forci, acheté un appartement, deux appartements dont le prix avait quintuplé sous l’effet du boom immobilier. Ils avaient acheté des maisons de campagne.
Ils s'étaient félicités lorsqu'un fils d’ouvrier, un socialiste austère et probe du nom de Pierre Bérégovoy avait déréglementé les marchés financiers. Ils avaient acheté des actions, poussé les portes capitonnées des fonds d'investissement, ils avaient de plus en plus d'argent et des nuances s'étaient glissées dans leurs conversations : "Il y a un principe de réalité", "il ne faudrait pas non plus décourager les gens", "bien sûr que je crois à l'impôt, oui, je suis socialiste : mais pas à la fiscalité punitive". Et puis bientôt : "il faut arrêter de faire croire aux gens qu’on peut raser gratis", "on est bien obligés de regarder ce que font les autres", "la concurrence mondiale est une réalité".
Arrivés à la cinquantaine, la peau ravinée par les plaisirs, la peau creusée et ravinée, ces hommes et ces femmes prononcèrent des mots comme "le culte malsain de la dépense publique". Les hommes portaient des vestes légères sur des chemises bleu ciel, des chapeaux, des pantalons chino. Ils apparaissaient, épanouis par leurs festins de viande, repus de carnages, dans la loge d'un client, à RoIand-Garros. Ils ressemblaient tous plus ou moins, dans l’allure générale, dans l'impression qui demeure après que le souvenir d'un visage s’est évanoui, à Dominique Strauss-Kahn.
Auteur:
Quentin Abel
Années: 1985 -
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: avocat pénaliste
Continent – Pays: Europe - France
Info:
Le voyant d'Étampes
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