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humoriste

J’avais commencé par des petits sketches sur les familles recomposées, les journalistes du Monde, la médiocrité des classes moyennes en général – je réussissais très bien les tentations incestueuses des intellectuels en milieu de carrière face à leurs filles ou belles-filles, le nombril à l’air et le string dépassant du pantalon. En résumé, j’étais un observateur acéré de la réalité contemporaine ; on me comparait souvent à Pierre Desproges. Tout en continuant à me consacrer au one man show, j’acceptai parfois des invitations dans des émissions de télévision que je choisissais pour leur forte audience et leur médiocrité générale. Je ne manquais jamais de souligner cette médiocrité, subtilement toutefois : il fallait que le présentateur se sente un peu en danger, mais pas trop. En somme, j’étais un bon professionnel ; j’étais juste un peu surfait. Je n’étais pas le seul.

Je ne veux pas dire que mes sketches n’étaient pas drôles ; drôles, ils l’étaient. J’étais, en effet, un observateur acéré de la réalité contemporaine ; il me semblait simplement que c’était si élémentaire, qu’il restait si peu de choses à observer dans la réalité contemporaine : nous avions tant simplifié, tant élagué, tant brisé de barrières, de tabous, d’espérances erronées, d’aspirations fausses ; il restait si peu, vraiment. Sur le plan social, il y avait les riches, il y avait les pauvres, avec quelques fragiles passerelles – l’ascenseur social, sujet sur lequel il était convenu d’ironiser ; la possibilité plus sérieuse de se ruiner. Sur le plan sexuel il y avait ceux qui inspiraient le désir, et ceux qui n’en inspiraient aucun : mécanisme exigu, avec quelques complications de modalité (l’homosexualité, etc.), quand même aisément résumable à la vanité et à la compétition narcissique, déjà bien décrites par les moralistes français trois siècles auparavant. Il y avait bien sûr par ailleurs les braves gens, ceux qui travaillent, qui opèrent la production effective des denrées, ceux aussi qui – de manière quelque peu comique, ou pathétique si l’on veut (mais j’étais, avant tout, un comique) – se sacrifient pour leurs enfants ; ceux qui n’ont ni beauté dans leur jeunesse, ni ambition plus tard, ni richesse jamais ; qui adhèrent cependant de tout cœur – et même les premiers, avec plus de sincérité que quiconque – aux valeurs de la beauté, de la jeunesse, de la richesse, de l’ambition et du sexe ; ceux qui forment, en quelque sorte, le liant de la sauce. Ceux-là ne pouvaient, j’ai le regret de le dire, pas constituer un sujet. J’en introduisais quelques-uns dans mes sketches pour donner de la diversité, de l’effet de réel ; je commençais quand même sérieusement à me lasser. Le pire est que j’étais considéré comme un humaniste ; un humaniste grinçant, certes, mais un humaniste. 

Auteur: Houellebecq Michel

Info: La possibilité d'une île, 2007, pages 20-22

[ stratégie ] [ création d'un personnage ] [ clés du succès ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson