On ne saurait assez admirer l’attitude de ces philosophes scolastiques, fort conscients d’avoir à leur disposition deux sagesses et qui trouvent si facile d’en départager les domaines. "La sagesse, ou science parfaite", dit l’un d’eux, "est double, l’une qui procède à la lumière surnaturelle de la foi et de la révélation divine, l’autre qui procède à la lumière de la raison naturelle. Celle-ci est la Philosophie, celle-là est la Théologie chrétienne, science surnaturelle en sa racine et en raison de ses principes. On définira donc la philosophie : la connaissance par les causes ultimes procédant à la lumière naturelle de la raison" [J. Gredt, Elementa philosophiae aristotelico-thomisticae, vol. 1, art. 1].
Ces paroles sont entièrement vraies et conformes à l’enseignement de Saint Thomas [d'Aquin] ; aucune difficulté ne surgit tant qu’on se tient sur le plan de la distinction formelle ; les obscurités s’accumulent au contraire si l’on prétend empêcher ces deux sagesses de cohabiter et de collaborer chez un même homme, dans un même esprit. De ce qu’enseigne la théologie, science surnaturelle en ses principes, la philosophie n'aura-t-elle rien à dire ? Et de ce qu’enseigne la philosophie, qui procède à la lumière de la raison naturelle, la théologie ne pensera-t-elle rien ? Saint Thomas, du moins, affirme exactement le contraire, car il ne maintient si fermement la distinction formelle des deux lumières et des deux sagesses que pour mieux leur permettre de collaborer, sans confusion possible mais sans faux scrupule, et intimement. […]
Le plus remarquable en ceci est qu’on veuille séparer révélation et raison pour satisfaire aux exigences d’une notion de la philosophie qui n’a jamais existé. Nul philosophe n’a jamais philosophé sur la forme vide d’une raison sans contenu. Ne penser à rien et ne pas penser, c’est tout un. Que l’on ôte par la pensée tout ce qu’il y a de proprement religieux dans les grandes philosophies grecques de Platon à Plotin, puis ce qu’il y a de proprement chrétien dans la spéculation philosophique de Descartes, de Malebranche, de Leibniz, même de Kant et de certains de ses successeurs, l’existence de ces doctrines devient incompréhensible.
Années: 1884 - 1978
Epoque – Courant religieux: industriel
Sexe: H
Profession et précisions: philosophe et historien
Continent – Pays: Europe - France