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addiction

Et, ayant atteint le point abstrait et illusoire de la désintoxication, c’est-à-dire n’absorbant plus du tout de drogue, il avait achevé de prendre conscience de ce que c’était que l’intoxication. Tandis qu’il semblait physiquement séparé de la drogue, tous les effets en demeuraient dans son être. La drogue avait changé la couleur de sa vie, et alors qu’elle semblait partie, cette couleur persistait. Tout ce que la drogue lui laissait de vie maintenant était imprégné de drogue et le ramenait à la drogue. Il ne pouvait faire un geste, prononcer une parole, aller dans un endroit, rencontrer quelqu’un sans qu’une association d’idées le ramenât à la drogue. Tous ses gestes revenaient à celui de se piquer (car il prenait de l’héroïne en solution) ; le son de sa voix même ne pouvait plus faire vibrer en lui que sa fatalité. Il avait été touché par la mort, la drogue c’était la mort, il ne pouvait pas de la mort revenir à la vie. Il ne pouvait que s’enfoncer dans la mort, donc reprendre de la drogue. Tel est le sophisme que la drogue inspire pour justifier la rechute : je suis perdu, donc je puis me redroguer.

Enfin, il souffrait physiquement. Cette souffrance était grande‫ ; ‬mais, même si elle eût été moindre, elle eût encore été terrible pour un être dont toutes les lâchetés devant la rudesse de la vie s’étaient conjurées depuis longtemps pour le maintenir dans cette dérobade complète du paradis artificiel. Il n’y avait en lui aucune ressource qui puisse le défendre contre la douleur. Habitué à se livrer à la sensation du moment, incapable de se former de la vie une conception d’ensemble, où se compensassent le bien et le mal, le plaisir et la douleur, il n’avait pas résisté longtemps à l’affolement moral que lui valait la douleur physique. Et il s’était redrogué.

Mais alors, les étapes de la drogue, par où il repassait, lui étaient apparues, cette fois, sous un jour nouveau, terne. Chaque degré de sa chute, il voyait quel piège médiocre ç’‬avait été. Ce n’était plus le délice d’un mensonge qu’on devine, mais qu’on laisse se cacher sous le masque séduisant de la nouveauté : maintenant, un démon surchargé de travail bâclait un client de plus et répétait avec négligence une vieille ruse imbécile : "Si tu en prends un peu aujourd’hui, tu en prendras moins demain."

Lui qui s’était plaint de la monotonie des jours, il la retrouvait dans le raccourci même qui lui avait semblé s’offrir à travers ces jours.

Il avait dû reconnaître aussi de façon définitive les limites étroites dans lesquelles opère la drogue. Il s’agissait uniquement d’une tonalité physique plus ou moins haute, plus ou moins basse, comme ce que produisent la nourriture, la santé. "Je suis plein" ou "je ne suis pas plein". C’était à cette alternative toute digestive que se réduisaient ses sensations. Dans sa conscience ne roulaient que les idées les plus banales, tout inspirées de la vie quotidienne, enveloppées d’une fausse légèreté. Il n’avait plus cette vivacité d’humour, qui, bien avant la drogue, lui était venue avec ses premières amertumes, encore moins cette floraison de rêveries prometteuses qui, à seize ans, lui avait fait une courte saison de jeunesse. 

Auteur: Drieu La Rochelle Pierre

Info: Le feu follet, éditions Gallimard, 2015, pages 45 à 47

[ obsession ] [ mécanisme ] [ amoindrissement ] [ anesthésiant ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson