[…] l’amour rend faible, et le plus faible des deux est opprimé, torturé et finalement tué par l’autre, qui de son côté opprime, torture et tue sans penser à mal, sans même en éprouver de plaisir, avec une complète indifférence ; voilà ce que les hommes, ordinairement, appellent l’amour. Pendant les deux premiers jours, je passais par de grands moments d’hésitation, au sujet de ce téléphone. J’arpentais les pièces, allumant cigarette sur cigarette, de temps en temps je marchais jusqu’à la mer, je rebroussais chemin et je me rendais compte que je n’avais pas vu la mer, que j’aurais été incapable de confirmer sa présence en cette minute – pendant ces promenades, je m’obligeais à me séparer de mon téléphoner, à le laisser sur ma table de chevet, et plus généralement je m’obligeais à respecter un intervalle de deux heures avant de le rallumer et de constater une fois de plus qu’elle ne m’avait pas laissé de message. Au matin du troisième jour, j’eus l’idée de laisser allumé mon téléphone en permanence et d’essayer d’oublier l’attente de la sonnerie ; au milieu de la nuit, en avalant mon cinquième comprimé de Mépronizine, je me rendis compte que ça ne servait à rien, et je commençai à me résigner au fait qu’Esther était la plus forte, et que je n’avais plus aucun pouvoir sur ma propre vie.
Années: 1958 - 20??
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Europe - France