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spéléoplongée

On croit souvent que les grandes explorations naissent d’un seul souffle, d’un élan de courage ou d’une audace solitaire. Mais la vérité est plus sobre, plus obstinée : elles naissent dans l’ombre des ateliers, au rythme lent du plastique de l'on façonne et du métal que l’on plie, des idées que l’on ajuste, des échecs que l’on dompte.

Pendant plus de vingt ans, j’ai façonné mes compagnons de profondeur. Non pas des outils interchangeables, mais des alliés fidèles, faits à mon image, à la mesure de mes rêves et de mes peurs. Les recycleurs JOKI, que j’ai vu naître aux côtés de Frédéric Badier en 2004, furent le socle de cette alchimie entre la technique et la respiration. Je les ai portés comme on porte une seconde peau. Cylindriques, compacts, pesant à peine neuf kilos, ils s’effaçaient pour mieux m’accompagner dans mes gouffres. Leur secret ? La simplicité d’un mCCR — un recycleur mécanique à injection manuelle d’oxygène, sans électronique superflue, sans alarmes intrusives. Rien que la maîtrise, l’écoute de son propre corps, et le silence.

Mais je voulais aller plus loin. Je ne pouvais plus me contenter d’un seul modèle, aussi fiable fût-il. Le JOKI était une base, pas un aboutissement. Alors, dans la solitude des ateliers, entre deux plongées, entre deux explorations, j’ai conçu une lignée entière d’engins à recycleur ma respiration. Une généalogie artisanale, presque familiale. Plus d'une dizaine de recycleurs, tous uniques, tous nés de mes mains, baptisés de l’empreinte d’un nom : les X-Men.

Contraction de Xavier Méniscus, oui — mais aussi clin d’œil à leur nature mutante. Aucun n’était identique au précédent. À chaque version, une nouvelle idée testée : position des cellules, allègement des châssis, optimisation des flux gazeux, repositionnement des faux-poumons pour équilibrer le travail respiratoire. Le premier était rustique, presque brutal. Le dixième, sobre, intégré, épuré même difforme. Tous mécaniques, tous silencieux, tous conçus pour une tâche précise : explorer ce que personne n’avait vu.

Au fil des années, je les ai amenés là où peu de machines avaient osé descendre. Font Estramar, bien sûr — l’antre la plus fascinante de ma vie. C’est avec des JOKI revisités, renforcés, bardés de redondance, que j’ai franchi la barre des –286 mètres. Et c’est mes double JOKI reconstruit après mon incendie, nourri de toutes les leçons tirées des X-Men, qui m’a permis de tutoyer –312m de profondeur. Ce n’était plus un simple appareil : c’était un dialogue intime entre moi et l’eau, entre la technologie et l’organique. L’appareil se taisait pour me laisser respirer. Il se contentait de faire ce qu’il devait faire : recycler mon souffle, me permettre d’exister là où plus rien ne vit.

Certains modèles furent conçus pour l’enseignement, d’autres pour les plongées longues à profil variable, d’autres encore pour les siphons étroits où le volume devient un ennemi. Aucun n’a été commercialisé. Pas de code CE, pas de logo, pas de vitrine. Juste une logique : l’exigence. La mienne. Celle de mes plongées.

Les X-Men étaient des créatures d’atelier, des machines rebelles nées du besoin vital de liberté que nous offre encore la plongée souterraine. Ils portaient dans leurs parois le souvenir de chaque plongée, de chaque émergence, de chaque frisson au contact de la roche. Et moi, j’étais leur créateur, mais aussi leur élève. Car en les façonnant, c’est moi-même que j’ai affûté.

Il n’y eut pas de fanfare, pas de trompettes, pas d’annonces. Seulement le souffle lent d’un plongeur qui descendait un peu plus bas, un peu plus loin. Et dans son dos, des machines simples, parfaitement vivantes.


Auteur: Méniscus Xavier

Info: Sur son profil FB, 15 juin 2025

[ théorie-pratique ] [ recherche appliquée ] [ adaptation ] [ artisanat technique ] [ autonomie ] [ symbiose ] [ homme-machine ] [ rigueur de l'expérience ] [ pragmatisme ] [ émotion ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste