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corps-esprit

Le paysage secret du toucher

Parmi tous nos sens, le toucher est sans doute le plus mystérieux, le plus foisonnant, le plus difficile à saisir. Là où la vue se concentre dans la rétine, l’ouïe dans la cochlée, le toucher, lui, se déploie comme une constellation diffuse. Ses neurones, pareils à des méduses, tissent leur toile depuis la moelle épinière jusque sous la peau, où ils se ramifient en une myriade de terminaisons, chacune experte dans l’art de capter une nuance du monde physique.

Le toucher n’est pas un sens unique mais une polyphonie : il perçoit la pression, la douleur, la chaleur, le froid, la caresse, la vibration, la piqûre, l’étirement, la texture, la chimie du piment ou la fraîcheur de la menthe, jusqu’à la conscience de notre propre corps dans l’espace. Ce kaléidoscope sensoriel, les anatomistes du XIXe siècle en avaient pressenti la complexité en observant, sous leurs microscopes, des structures étranges dans la peau : des disques, des oignons, des fuseaux, des pelotes. Ils devinaient là les instruments secrets du toucher.

Il fallut la patience et l’ingéniosité de générations de physiologistes pour commencer à percer ce mystère. À l’aide d’électrodes miniatures, ils écoutèrent le bavardage électrique des neurones sensoriels, découvrant que certains, comme les cellules de Merkel, détectent la plus légère indentation ; que d’autres, les corpuscules de Meissner, perçoivent les minuscules vibrations d’un objet glissant entre nos doigts ; que les corpuscules de Pacini, enfouis dans la profondeur, sont sensibles aux grondements de la terre, tandis que les terminaisons de Ruffini renseignent sur l’étirement de la peau.

Mais ce n’était qu’un début. Derrière la diversité apparente, la jungle des axones restait impénétrable : douze à quinze types de neurones innervent parfois la même région, indiscernables les uns des autres. Il fallut attendre l’avènement de la génétique moderne pour que David Ginty, chercheur à Harvard, puisse enfin démêler ce fouillis. Grâce à des souris génétiquement modifiées, il parvint à illuminer, à la manière d’un chef d’orchestre, chaque famille de neurones, révélant la partition intime du toucher.

Les poils, ces antennes sensibles

Longtemps, la peau velue resta une terra incognita. Si la peau glabre - paumes, plantes, lèvres - était déjà bien cartographiée, le rôle des poils demeurait obscur. Ginty et son équipe montrèrent que chaque type de poil, du plus fin au plus robuste, est ceinturé par des terminaisons nerveuses spécialisées. Certaines, épaisses et rapides, permettent de localiser précisément un contact ; d’autres, plus fines et lentes, transmettent la douceur d’une caresse ou le chatouillement d’un souffle. Les images obtenues, éclatantes de fluorescence, révélèrent un ordre caché, une architecture d’une beauté insoupçonnée

Vibrations, plaisir et mystères

La quête de Ginty ne s’arrêta pas là. Il explora les corpuscules de Krause, présents dans les zones érogènes, et prouva qu’ils étaient sensibles aux vibrations, déclenchant l’excitation sexuelle chez la souris. Il s’attarda aussi sur ses préférés, les corpuscules de Pacini, capables de détecter les vibrations les plus subtiles, jusqu’à mille hertz - comme si notre corps tout entier était tapissé de minuscules implants cochléaires, prêts à ressentir la musique du monde. Fait fascinant : chez la souris, ces signaux vibratoires ne suivent pas la voie classique du toucher, mais rejoignent la partie du cerveau dédiée au son, rendant l’expérience tactile indissociable de l’audition.

Une diversité vertigineuse

Aujourd’hui, la génétique a révélé au moins dix-huit types distincts de neurones du toucher, peut-être bien plus. Chacun peut se subdiviser selon la forme de ses terminaisons : un même neurone peut, selon sa destination, percevoir la vibration d’un doigt, le mouvement d’un poil ou la distension du côlon. Le chiffre réel pourrait dépasser la cinquantaine, tant la diversité est grande.

Mais au-delà de la cartographie, une question demeure : comment ces signaux, venus de millions de points, se transforment-ils en perception ? Comment une étreinte, la douceur d’un drap ou la fraîcheur d’un vent deviennent-ils expérience vécue ? Les travaux de Ginty ont montré que le cerveau traite une grande part de ces informations bien avant le cortex, dans la moelle et le tronc cérébral, bouleversant la vision classique d’un toucher simplement relayé vers la conscience.

L’émerveillement du chercheur

Pour Ginty, l’enjeu n’est pas seulement scientifique : il s’agit d’éprouver de l’émerveillement devant la richesse de ce sens que nous tenons pour acquis. Son travail ouvre la voie à de meilleurs traitements de la douleur, à des prothèses plus sensibles, à une compréhension affinée des troubles sensoriels. Mais, au fond, il s’agit d’une célébration de la complexité du vivant. Comme il le confie, il lui arrive de fermer les yeux lors d’un concert, de poser la main sur une chaise, et de " sentir la musique " - preuve ultime que le toucher est bien plus qu’un sens : c’est une porte sur le monde, une symphonie silencieuse qui nous relie à l’univers.



 

Auteur: Internet

Info: Quanta magazine, avril 2025, Touch, Our Most Complex Sense, Is a Landscape of Cellular Sensors

[ sensori-moteur ] [ perceptions ] [ sensations haptiques ] [ palpables ] [ chair-esprit ]

 

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Ajouté à la BD par miguel