J’ai toujours, devant les yeux, l’image de ma première nuit de vol en Argentine, une nuit sombre où scintillaient seules, comme des étoiles, les rares lumières éparses dans la plaine. Chacune signalait, dans cet océan de ténèbres, le miracle d’une conscience.

Voler est le contraire de voyager : on franchit une brèche dans l'espace, on s'évanouit dans le vide, on accepte de ne pas être en un lieu pendant une durée qui est elle-même une sorte de vide dans le temps ; puis on réapparaît, en un lieu et en un moment sans rapport avec le où et le quand où l'on a disparu.

Vue du ciel, Baïkonour a l’air d’un amas hétéroclite répandu au hasard dans la steppe désertique. C’est un curieux mélange de vilains bâtiments en béton, affreusement chauds en été et horriblement froids en hiver, et d’entassements épars de vieilles machines rouillées, abandonnées au petit bonheur la chance. Des hordes de chiens sauvages errent au milieu d’engins aérospatiaux. Ce lieu âpre et désolé est le seul port d’envol vers l’espace qui existe au monde.

En tant que lecteur, je crois avoir le droit de feuilleter Finnegans Wake, souvent sans suivre la pagination, en m'abandonnant aux caprices de mon imagination et à ma sensibilité musicale, en savourant des sons là où je décide de ne pas identifier des mots, en obéissant à des associations personnelles. Je crois qu'il est permis aussi de lire Finnegans Wake comme les destinataires les moins sophistiqués organisent leur soirée télévisée ; en zappant convulsivement sur la télécommande en se construisant leur propre récit, pas plus irrationnel qu'un "cadavre exquis" surréaliste.