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société techno-scientifique-marchande

L’audiovisuel oblitère complètement ce conflit et cette rupture*. Il permet de croire de bonne fois que l’on est en pleine conciliation, que l’on peut en même temps être Socrate et l’ingénieur travaillant sur la mécanique des fluides appliquée à l’ordinateur, que l’on peut heureusement associer la technique et la culture, et même qu’un stade plus évolué de techniques permettra de s’adonner aux joies bienheureuses des créations purement intellectuelles, spirituelles, esthétiques... [...] Ainsi l’audiovisuel remplit ici un rôle éminemment idéologique.

Auteur: Ellul Jacques

Info: *entre deux modes de connaissance, l'un issu de l'immédiateté du visuel, l'autre issu de la réflexivité de la parole, dans "La parole humiliée", éditions de la Table Ronde, Paris, 2014, page 345

[ condition homme moderne ] [ malentendu ] [ réconciliation illusoire ] [ facteur de paix existentielle ]

 

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L’interdépendance existe donc plus que jamais, mais elle s’est étrangement déplacée du prochain vers le lointain. Les liens familiaux s’effilochent (les enfants échappent de plus en plus tôt à la tutelle des parents, les malades et les vieillards sont à la charge de l’Etat, etc.) et quant aux rapports de voisinage, ils sont en voie de disparition en dehors des nécessités professionnelles. L’habitant d’un grand ensemble se passe fort bien des services de son voisin de palier auquel très souvent il n’a jamais adressé la parole [...] mais il dépend chaque jour, pour le ravitaillement de sa chère voiture, de l’émir du Koweït et de ses homologues qui règnent sur le Moyen Orient et ses puits de pétrole.

Auteur: Thibon Gustave

Info: Dans "L'équilibre et l'harmonie", Librairie Arthème, Fayard, 1976, page 58

[ anonymat ] [ isolement ] [ mondialisation ] [ circuits longs ]

 

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Ce n’est plus Dagon ou Ishtar, ou Melkhart contre qui nous avons à lutter, mais les trônes, puissances, dominations qui se nomment Argent, État, Technique, la nouvelle trinité spirituelle et qui se manifeste dans des idoles parfaitement visibles et uniquement du domaine visible. […] Le visuel a gagné entièrement, mais il se fait prendre absolument pour du spirituel. Le processus seul est différent. Il s’agissait autrefois du discernement d’une vérité spirituelle que l’on matérialisait pour la saisir, dans la vue. Il s’agit aujourd’hui du triomphe du réel, qui a tout emporté, qui occupe toutes nos forces, tous nos projets, l’image partout, mais à qui dorénavant nous conférons dignité, authenticité, vérité spirituelles, en qui nous allons enclore tout ce qui est de l’ordre de la vérité, et la parole va être localisée, va devenir espace et médiocre réalité.

Auteur: Ellul Jacques

Info: Dans "La parole humiliée", éditions de la Table Ronde, Paris, 2014, page 150

[ iconoclastes-idolâtres ] [ réactualisation ] [ dévaluation ]

 

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Dans le nouvel esprit des catastrophes, il n’y a rien à craindre pourvu qu’on s’adapte. Nous voici face au nouvel avatar de la raison catastrophique, raison qui nous trouve toujours de bonnes raisons de tirer parti du pire. Aussi pandémique soit-elle, la résilience n’est pourtant pas une simple rhétorique. C’est avant tout une technologie du consentement dont la finalité est d’amener les populations en situation de désastre à consentir au et par le “progrès” technique ; à consentir aux nuisances en rendant incontournable, voire nécessaire, le fait de “vivre avec” le désastre ; à consentir à la participation à travers la cogestion des dégâts avec les pouvoirs publics ; à consentir encore à l’ignorance en désapprenant à être affecté, en renonçant à notre santé notamment, notre désir de vérité aussi ; à consentir, enfin, à devenir les cobayes de conditions de vie dégradées induites par le désastre. […]

C’est pourquoi la cogestion avec les populations rendues optimistes par la grâce de la joie agissante constitue un pilier des rhétoriques de résilience. Elle participe de l’élaboration du consentement au désastre et à ses suites. Il s’agit de donner naissance à un micro-entrepreneuriat des décombres. Car en transformant les victimes en acteurs, le statut même de victime est dilué dans la cogestion des dégâts, tandis que celui du désastre l’est dans la promesse de l’avènement d’un “nouveau départ” garanti par la résilience et fondé sur l’adaptation-soumission. Naît ainsi la confusion entre l’accomplissement du sujet et les nécessités que lui impose sa survie en milieu catastrophique. […]

Enquêter sur les déterminants de la survie pour mieux la paramétrer et en élaborer les outils thérapeutiques en conséquence : voilà l’activité scrupuleusement menée par les “techno-bigots” de la résilience, cette métaphysique étatique du malheur. Non seulement cela revient-il à ne jamais condamner les causes qui poussent de plus en plus de gens à être engloutis dans ce qui n’est plus qu’une survie, mais cela concourt-il aussi à sa planification plutôt qu’à vivifier le désir de prendre de la distance vis-à-vis de la condition de survivant. Seule l’émancipation, consistant précisément à aller à l’encontre de l’identification du sujet à cette condition, peut mettre fin à la dangereuse entreprise de désocialisation de la catastrophe et de la réalité du malheur – usurpation visant à les soustraire à toute forme d’explication sociale tout en les exhortant à marcher d’un pas unifié derrière l’appel à l’endurance – pour enfin cesser de faire du désastre le pendant inéluctable du progrès au point d’en faire sa source. En finir avec la perpétuation du mythe d’un malheur vertueux rendant inapte toute tentative de s’y opposer.

Auteur: Ribault Thierry

Info: "En réponse aux résiliothérapeutes et leur métaphysique du malheur", Socialter n°48 octobre-novembre 2021

[ déresponsabilisation ] [ endoctrinement ] [ malléabilité ] [ psychothérapie instrument du pouvoir ]

 

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