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présocratiques

Ce mode [dialectique] consiste en un dialogue de l’esprit avec lui-même : s’opposant à soi par dégagement de ses propres contradictions, l’esprit s’efforce de les surmonter et s’avance, de raison en raison, vers la vérité qu’il porte en lui. Ce "penser dialectique" […] nous est devenu si familier, sous des formes diverses, qu’il nous paraît se confondre avec l’exercice même de la pensée, du moins de la pensée rigoureuse, celle qui s’assure en permanence de sa propre cohérence en se rendant compte à elle-même de la nature de ses démarches spéculatives. […] Difficile alors, quand on s’est habitué à ce mode de pensée, d’entrer en communion intelligible avec d’autres régimes de l’esprit : les textes qui relèvent de ces régimes pré-dialectiques nous demeureront quasi hermétiques ou de signification indécidable, à moins que nous ne les rangions dans la catégorie des œuvres mytho-poétiques, alors qu’ils sont peut-être porteurs d’un sens métaphysique qui nous échappe faute de pouvoir en reconnaître le mode d’expression.

Auteur: Borella Jean

Info: Penser l'analogie, L'Harmattan, Paris, 2012, page 143

[ incompréhensibles ] [ anciens-modernes ]

 

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présocratiques

Mais il faut en venir à l’événement qui se produisit au cours du Ve siècle av. J.-C. et qui interrompit progressivement la tradition gnomique. Culturellement, cet événement est constitué, nous l’avons vu, par l’apparition des sophistes. On peut sans doute hésiter sur la nature historique de ce phénomène, sur le nombre et la fonction exacte de ces hommes qui, tels Protagoras ou Gorgias, parcouraient la Grèce et faisaient métier de la parole. Sur la signification métaphysique, on ne saurait, croyons-nous, hésiter : il s’agit essentiellement d’une "subversion" de la parole, c’est-à-dire du logos (indissociablement raison et discours) qui, de moyen, devient fin en soi et s’enivre d’une puissance indéfinie. Que tel soit bien le lieu où s’inscrit la rupture sophistique, la guerre que lui livre Socrate dans les dialogues platoniciens le prouve ; les corrupteurs du verbe doivent être vaincus avec leurs propres armes, celles d’une "conversion" du logos. C’est aussi le fait irrécusable que la parole, qui était prophétie de l’Être, devient source de profit : parole à vendre au plus offrant. Ainsi les mots sont-ils déliés du lien qui les unissait aux choses : leur amarre ontologique est rompue, ils peuvent flotter "librement" sur la mer des passions humaines et des convoitises : la parole n’a plus de poids*.



[*Il n’est pas interdit de supposer que l’apparition de la sophistique est liée à la découverte de l’écriture alphabétique par les Grecs, ce qui permettrait peut-être de rendre compte de l’attitude paradoxale de Platon à l’égard de l’écriture, à laquelle il a consacré en partie sa vie de grand écrivain, tout en soulignant ses dangers et son infériorité relativement à la tradition orale. Dans un livre décisif, Aux origines de la civilisation écrite, […] Eric A. Havelock a démontré clairement que l’écriture alphabétique a été inventée par les Grecs et non par les Phéniciens. Seuls les Grecs sont parvenus, vers 700 av. J.-C., à élaborer un système simple de signes (moins d’une trentaine) permettant de noter tous les points d’articulation (phonèmes) d’un langage quelconque, ce qui exige une analyse phonématique d’une extrême précision. Toutes les écritures alphabétiques du monde en dérivent. Cette découverte modifia progressivement le rapport de l’homme au langage. Chronologiquement, les textes antérieurs à la deuxième moitié du VIIIe siècle (750-700 av. J.-C.) ont été composés et transmis oralement et portent la marque du style oral (Homère et Hésiode) : rythmo-mélodisme, images frappantes, formules sententiaires, etc. Ce régime "poétique" persiste aux VI et Ve siècles, chez Xénophane, Héraclite, Parménide, même si leurs textes sont composés par écrit […]. Mais l’écriture détache peu à peu le discours de la parole vivante et lui confère une existence propre et autonome en même temps qu’elle objective et accentue la linéarité du langage : écrire, c’est écrire des lignes. On a là les deux traits caractéristiques du langage sophistique : son indépendance auto-constituante et son indéfinité linéaire (ou horizontale).

Auteur: Borella Jean

Info: Penser l'analogie, L'Harmattan, Paris, 2012, pages 146-147

[ solidification ] [ philosophie ] [ oral-écrit ]

 

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