point Godwin
Il n’est pas au pouvoir d’un homme d’exclure absolument toute espèce de justice des fins qu’il assigne à ses actions. Les nazis eux-mêmes ne l’ont pas pu. Si c’était possible à des hommes, eux sans doute l’auraient pu.
(Soit dit en passant, leur conception de l’ordre juste qui doit en fin de compte résulter de leurs victoires repose sur la pensée que, pour tous ceux qui sont esclaves par nature, la servitude est la condition à la fois la plus juste et la plus heureuse. Or c’est là la pensée même d’Aristote, son grand argument pour l’apologie de l’esclavage. Saint Thomas, bien qu’il n’approuvât pas l’esclavage, regardait Aristote comme la plus grande autorité pour tous les sujets d’étude accessibles à la raison humaine, au nombre desquels la justice. Par suite, l’existence dans le christianisme contemporain d’un courant thomiste constitue un lien de complicité — parmi beaucoup d’autres, malheureusement — entre le camp nazi et le camp adverse. Car, bien que nous repoussions cette pensée d’Aristote, nous sommes forcément amenés dans notre ignorance à en accueillir d’autres qui ont été en lui la racine de celle-là. Un homme qui prend la peine d’élaborer une apologie de l’esclavage n’aime pas la justice. Le siècle où il vit n’y fait rien. Accepter comme ayant autorité la pensée d’un homme qui n’aime pas la justice, cela constitue une offense à la justice, inévitablement punie par la diminution du discernement. Si saint Thomas a commis cette offense, rien ne nous contraint à la répéter.)
Auteur:
Weil Simone
Années: 1909 - 1943
Epoque – Courant religieux: industriel
Sexe: F
Profession et précisions: humaniste, professeur, écrivain
Continent – Pays: Europe - France
Info:
L'enracinement, Editions Gallimard, 1949, pages 306-307 - J'ai mis "point Godwin" parce qu'il me semble que faire des liens d'Aristote et de Thomas d'Aquin au nazisme est un peu anachronique, idéaliste à l'extrême, suramplifié. (Colimasson)
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