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philosophie-théologie

Saint Thomas [d'Aquin] ne s’y montre [dans son œuvre] ni platonicien, ni aristotélicien, ni avicennien. En allant au fond de ces trois philosophies, on s’aperçoit qu’aucune d’elles n’a conçu la notion de création ex nihilo, y compris celle de la matière. Mais dans la lumière théologique où elles baignent ici, on les voit révéler des possibilités philosophiques plus riches que celles qu’elles semblaient avoir dans l’esprit des philosophes qui les ont d’abord conçues.

Auteur: Gilson Etienne

Info: Introduction à la philosophie chrétienne, Vrin, 2011, page 58

[ naturel-surnaturel ] [ transcendée ] [ potentialités ]

 

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philosophie-théologie

Celle-ci [la théologie chrétienne] a encore beaucoup à apprendre de Bergson pour repenser la théorie de la création et les rapports entre le temps et l’éternité, par conséquent le problème si difficile des relations qui existent entre la prescience éternelle de Dieu et la liberté humaine. Bergson peut aider encore le théologien chrétien à se délivrer des restes de platonisme qui l’encombrent dans l’analyse de certains problèmes, par exemple celui que nous venons d’évoquer [la théorie de la création, les rapports entre le temps et l’éternité]. Mais la métaphysique de Bergson est une métaphysique ambivalente parce qu’en réalité, elle est double : d’une part c’est une métaphysique expérimentale, et en cela elle est utilisable, et d’autre part c’est une métaphysique d’inspiration néoplatonicienne. En cela elle est incompatible avec la théologie chrétienne, qui a ses exigences propres dans l’ordre métaphysique.

Auteur: Tresmontant Claude

Info: La crise moderniste, éditions du Seuil, 1979, page 183

[ christianisme ] [ critique ] [ développement doctrinal ]

 

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philosophie-théologie

Ainsi, comme Porphyre prétend que pour arriver à la perfection de l’âme il faut fuir tout corps, comme il pense, avec Platon son maître et les autres platoniciens, que les âmes flétries par une vie honteuse et criminelle rentreront, pour l’expier, en des corps mortels, corps de bêtes, selon Platon, corps humains, selon Porphyre ; il suit que ces dieux, qu’ils veulent nous faire adorer comme auteurs et créateurs de notre être, ne sont, de leur aveu même, que les funestes ouvriers qui forgent nos chaînes et bâtissent nos prisons, les gardes qui nous chargent de liens, les geôliers de notre lamentable esclavage. Que les platoniciens cessent donc de montrer le corps à l’âme comme un supplice, ou qu’ils cessent de nous recommander le culte de ces dieux dont ils nous invitent à fuir et à conjurer de tous nos efforts l’œuvre en nous. Et toutefois il y a là une double erreur. Il est faux qu’un retour à cette vie soit le châtiment des âmes ; et il est faux que tout ce qui vit au ciel et sur la terre ait un autre créateur que le créateur du ciel et de la terre.

Auteur: Saint Augustin Aurelius Augustinus

Info: La cité de Dieu, volume 2, traduction en latin de Louis Moreau (1846) revue par Jean-Claude Eslin, Editions du Seuil, 1994, page 99

[ création ] [ réfutation ] [ corps-âme ] [ paganisme ] [ différences ]

 

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Platon a voulu que les espèces de toutes les choses soient séparées, de sorte que les individus soient dénommés par elles comme par participation ; ainsi, selon lui, Socrate est dit homme par participation à l’idée séparée de l’homme. Et de même que Platon supposait ainsi une idée séparée de l’homme, du cheval, qu’il appelait "l’homme en soi", "le cheval en soi", ainsi posait-il une idée séparée de l’étant, et une idée de l’un, qu’il appelait l’étant et l’un en soi ; et il disait que c’est par participation à elles que chaque chose est dite étant et une. Quant à ce qui est ainsi étant par soi, un par soi, Platon en faisait le souverain bien. Et puisque dans la réalité, le bien, comme l’un coïncident avec l’étant, il disait que le bien par soi est Dieu, dont tous les êtres tiennent par participation d’être nommés bons. 

Bien que cette opinion apparaisse déraisonnable en ce qu’elle prétendait séparées et subsistantes par soi les espèces des choses corporelles, ce qu’Aristote a réfuté de multiples manières, toutefois, il est absolument vrai qu’il y a une réalité première, laquelle est bonne par son essence même, et que nous appelons Dieu, comme nous l’avons établi plus haut. Et Aristote s’accordait avec cette affirmation. 

C’est donc bien de ce premier, qui par son essence est, et est bon, que tout autre tient d’être et d’être bon, en tant qu’il y participe par une certaine assimilation encore que lointaine et déficiente, comme on l’a montré à l’article précédent. 

Et ainsi, nous pouvons conclure que tout être est appelé bon en raison de la bonté divine, comme du premier principe exemplaire, efficient et finalisateur de toute bonté. Toutefois, chaque réalité est dite bonne encore par une ressemblance de la bonté divine qui lui est inhérente, et qui est formellement sa bonté à elle, celle en raison de laquelle elle est dite bonne. Ainsi donc, il y a une bonté unique de toutes choses et il y a une multitude de bontés. 

Auteur: Saint Thomas d'Aquin

Info: Somme théologique, I, q.6, a.4

[ un-multiple ]

 

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philosophie-théologie

Il en est, parmi nos frères en la grâce de Jésus-Christ, qui s’étonnent d’apprendre, soit par entretien, soit par lecture, que Platon ait eu de Dieu des sentiments dont ils reconnaissent la conformité singulière à la vérité de notre religion. Aussi plusieurs ont pensé que, dans son voyage en Egypte, il entendit le prophète Jérémie, ou qu’il lut les livres des prophéties. J’ai moi-même émis cette opinion dans quelques-uns de mes ouvrages. Mais une recherche chronologique plus exacte m’a prouvé que la naissance de Platon est d’un siècle environ postérieure au temps où prophétisa Jérémie, et que depuis sa mort, après une vie de quatre-vingt ans, jusqu’à l’époque où Ptolémée, roi d’Egypte, demanda à la Judée les livres des prophètes qu’il fit interpréter par soixante-dix juifs hellénistes, on trouve à peu près un espace de soixante ans. Ainsi donc Platon n’a pu ni voir Jérémie, mort si longtemps auparavant, ni lire les Ecritures qui n’étaient pas encore traduites en langue grecque. Si ce n’est peut-être que dans sa passion pour l’étude, il parvint, autant que l’intelligence lui en pouvait être donnée, à s’instruire des Ecritures, comme des livres de l’Egypte, non pas en les faisant traduire, ce qui n’appartient qu’à un roi, tout-puissant par les bienfaits ou par la crainte, mais en conversant avec des interprètes juifs ; et ce qui favorise cette conjecture, c’est qu’on lit au début de la Genèse : "Dans le principe, Dieu fit le ciel et la terre. Or la terre était une masse invisible et informe, et les ténèbres couvraient la surface de l’abîme et l’esprit de Dieu était porté sur les eaux". Et Platon, dans le Timée, où il traite de la formation du monde, prétend que dans cette œuvre merveilleuse, Dieu unit ensemble la terre et le feu. Evidemment ici, le feu tient la place du ciel : sens assez conforme à cette parole de l’Ecriture : "Dans le principe, Dieu fit le ciel et la terre". Platon ajoute que l’air et l’eau furent les deux moyens de jonction entre les deux extrêmes, la terre et le feu ; et il est probable qu’il explique ainsi ce verset : "L’esprit de Dieu était porté sur les eaux". […] Ailleurs, il dit que le philosophe est l’homme épris de l’amour de Dieu. Et l’Ecriture n’est-elle pas toute brûlante de cet amour ?

Auteur: Saint Augustin Aurelius Augustinus

Info: La cité de Dieu, volume 1, traduction en latin de Louis Moreau (1846) revue par Jean-Claude Eslin, Editions du Seuil, 1994, page 340

[ Bible ] [ correspondances ] [ hypothèses ] [ christianisme ]

 

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Pour saint Thomas d’Aquin, la création est tout simplement une relation, unilatérale, de dépendance, de l’ensemble du réel, par rapport à Dieu. Prise du côté de l’être créé, cette relation est une relation réelle. Prise du côté de Dieu, elle est une relation de pure raison.

[…] Dans la métaphysique de saint Thomas d’Aquin, l’Univers est créé, actuellement, par cette dépendance même à l’égard de l’Unique incréé. La création est donc une relation actuelle, et en ce sens on peut l’appeler continuée. En ce sens seulement.

Mais la cosmologie de saint Thomas d’Aquin, au départ, c’est la cosmologie d’Aristote, c’est-à-dire un système constitué de substances qui échappent au devenir, à la genèse et à la corruption, un système éternellement constitué. Saint Thomas corrige Aristote sur ce point, mais au nom de la révélation. Il affirme que le monde n’est pas éternel, parce que la révélation l’enseigne, mais il ajoute que l’intelligence humaine, sans la révélation, ne peut pas le démontrer.

Dans la perspective ouverte par Bergson, l’Univers n’est pas un système constitué de toute éternité, auquel on pourrait ajouter, comme du dehors, l’idée de création qui nous vient des Hébreux. Pour Bergson, et l’expérience nous le confirme, l’Univers se forme – ou bien il est formé – depuis des milliards d’années, et progressivement. C’est-à-dire, comme nous l’avons déjà noté, que la création est en train de s’effectuer depuis des milliards d’années. L’Univers est en régime de création continuée dans un tout autre sens que chez saint Thomas d’Aquin. Non seulement dépendance actuelle de la totalité de l’être créé par rapport à l’Unique incréé, mais composition progressive, en train de s’effectuer, de l’ensemble du réel, en sorte que nous n’en sommes pas encore au septième jour, au jour du Repos. […] L’Univers n’est pas un système qui a été créé, au commencement, d’un seul coup. Il est un système qui a été créé progressivement et qui continue d’être en régime de création. […] C’est bien ce que dit, d’ailleurs, Celui qui s’exprime dans le quatrième Evangile : "Mon père est à l’œuvre jusqu’à maintenant, et moi aussi je suis à l’œuvre" (Jn 5, 17).

L’Univers de saint Thomas, pour Bergson, comme pour nous, en cette fin du XXe siècle, est un Univers constitué d’un seul coup, et donc fixe, achevé depuis le début. La création ne s’y manifeste pas empiriquement, elle ne s’y décèle pas dans l’expérience, précisément parce que cet Univers est pensé comme tout fait, achevé. Tandis que l’Univers bergsonien, qui est l’Univers réel, est un Univers en genèse. […]

Les thomistes, le plus souvent, refusent d’appeler création cette genèse continuée de nouveauté. Ils préfèrent l’appeler devenir. Et pour eux, le devenir, ce n’est pas la création. Tout devenir, en effet, n’est pas création, car il existe un devenir qui est corruption, croissance de l’entropie. Mais il existe un devenir qui est la création elle-même en train de s’effectuer, c’est ce devenir qui est genèse, ontogenèse ou phylogenèse, cosmogenèse et biogenèse.

C’est sur ce point, semble-t-il, que porte le différend entre Bergson et les thomistes, en ce qui concerne la doctrine de la création, et ses rapports avec l’évolution. Quelques thomistes sont disposés à accepter l’idée d’une création continuée, telle que Bergson l’a dégagée, et telle que l’expérience cosmique générale l’impose aujourd’hui. Mais ils sont peu nombreux.

Auteur: Tresmontant Claude

Info: La crise moderniste, éditions du Seuil, 1979, pages 85-86

[ christianisme ] [ définition ] [ différence ] [ origine ] [ statique-dynamique ]

 

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C’est seulement à partir du seizième siècle que le développement propre des études philosophiques exigées des futurs théologiens conduisit à diviser les études religieuses en deux parties, la philosophie scolastique et la théologie scolastique. A ce moment, ce qu’il y avait eu de philosophie incluse dans les théologies scolastiques, ou explicitement élaborée en vue de ces théologies et pour leur usage, se constitua en corps de doctrine distinct. C’est ce qu’avaient déjà fait les averroïstes du treizième siècle et leurs successeurs, mais leur intention était de séparer les deux disciplines, non seulement de les distinguer. Les scolastique du seizième siècle, et jusqu’à ceux de nos jours, ont fait une sorte de rêve : constituer, comme préambule à la théologie, une philosophie qui ne devrait rien à celle-ci, sauf une sorte de contrôle extérieur, et qui pourtant s’accorderait parfaitement avec elle. Les scolastiques de notre temps étant thomistes en quelque sorte par définition (bien que les exceptions soient nombreuses), ils veulent naturellement que cette philosophie soit celle de Saint Thomas d’Aquin, ce qui suppose que Saint Thomas ait eu une philosophie. On lui attribue donc celle qu’eut Aristote, retouchée pourtant, comme on assure que le Philosophe lui-même aurait pu le faire pour la mettre d’accord avec la théologie chrétienne.

Sur l’opportunité d’adopter cette attitude, on peut différer d’opinion ; ce qu’il est très difficile d’admettre, c’est que, transportant dans le passé cette manière de faire, on prétende qu’elle ait été déjà celle de Saint Thomas d’Aquin. […] Il est incontestable que l’influence de la philosophie d’Aristote sur la pensée théologique de Saint Thomas dépasse de loin celle des autres philosophes. Elle est prépondérante en ce sens qu’ayant à mobiliser la philosophie au service de la théologie, c’est principalement celle d’Aristote dont Saint Thomas a fait usage, mais ce qu’il fait dire au Philosophe est toujours ce que celui-ci doit dire pour servir les fins du théologien. Et il n’est pas seul à les servir.

On altère la pensée théologique de Saint Thomas en imaginant qu’elle ait pu se lier à une doctrine philosophique quelconque, fût-ce même celle que le théologien jugeait de loin la meilleure de toutes. Lorsqu’il réfléchit sur ce que la raison humaine peut connaître de Dieu par ses seules forces, sans l’aide de la révélation judéo-chrétienne, Saint Thomas pose le problème, non pas du point de vue du seul Aristote, mais en fonction de l’histoire entière de la philosophie grecque. Car c’est là pour lui toute l’histoire de la philosophie, l’âge suivant n’ayant plus guère été que celui des commentateurs et des Saints.

Saint Thomas a plusieurs fois esquissé un tableau d’ensemble de cette histoire. Telle qu’il la connaissait et l’interprétait, elle apparaissait dominée par une règle générale. Dieu ne peut être trouvé que comme cause des êtres donnés dans l’expérience sensible, et l’idée que la raison se fait de lui s’élève à mesure qu’elle-même connaît plus profondément la nature de ses effets. En d’autres termes, on ne peut pas trouver un Dieu plus élevé que celui qu’on cherche ; pour trouver le Dieu le plus haut qu’elle soit capable de concevoir par ses seules forces, il faut que la raison naturelle s’interroge sur la cause de ce qu’il y a de plus parfait dans les êtres sensibles tels qu’elle les connaît.

Sous le regard scrutateur du théologien, cette histoire se présente comme celle d’un progrès, non pas continu, mais sans régressions et jalonné par un petit nombre d’étapes marquantes. Cet approfondissement progressif de la nature des êtres, qu’accompagne celui de notre connaissance de Dieu, suit lui-même un ordre déterminé, qui est celui de la connaissance humaine : secundum ordinem cognitionis humanae processerunt antiqui in consideratione naturae rerum (QDP, 3, 6)*. Or notre connaissance commence par le sensible et, à partir de là, elle s’élève progressivement à l’intelligible par une suite d’abstractions de plus en plus poussées.

Une première étape correspond à la perception sensible des qualités des corps. Les premiers philosophes ont donc naturellement été matérialistes pour la simple raison qu’ils ont d’abord confondu la réalité avec ce qu’ils pouvaient en percevoir par les sens. […] Pour eux, la substance est la matière ; ils ne la conçoivent même pas comme douée d’une forme substantielle, car les formes substantielles ne sont pas perceptibles aux sens ; par contre, les qualités des corps, qui en sont les formes accidentelles, tombent sous les prises des cinq sens.

Voici donc en quoi la réalité consistait selon les premiers philosophes : la matière, qui est la substance, et les accidents, qui sont causés par les principes constitutifs de la substance matérielle, ou éléments. Il ne leur en fallait pas davantage pour expliquer les apparences du monde sensible. Comprenons bien ce point tel que Saint Thomas lui-même l’entendait : si nous posons la matière comme une substance dont les éléments suffisent à rendre raison de toutes les qualités sensibles des corps, celles-ci ne sont autre chose que la manifestation de ces qualités. Elles n’ont donc pas à être produites ; elles sont là du seul fait que la substance matérielle, dont elles sont les formes accidentelles, est là. D’où cette conclusion digne d’attention que, pour ceux qui tiennent une philosophie de ce genre, la matière est la cause ultime de toutes les apparences. Il n’y a donc pas lieu de poser une cause de la matière, ou, plus exactement, ces philosophes sont contraints à affirmer que la matière n’a pas de cause, ce qui, pour Saint Thomas, revient à nier totalement la cause efficiente : une ponere cogebantur materiae causam non esse, et negare totaliter causam efficientem.** 

[…] La deuxième étape fut franchie par ceux des philosophes venus plus tard qui commencèrent, dans une certaine mesure, à prendre en considération les formes substantielles. Celles-ci étant invisibles, on s’élevait par là de la connaissance sensible à la connaissance intellectuelle. C’était un progrès décisif, car en passant de l’ordre du sensible à celui de l’intelligible, on atteignait l’universel. Pourtant, cette deuxième famille de philosophes ne se demanda pas s’il y avait des formes universelles et des causes universelles, toute son attention se porta sur les formes de certaines espèces. Cette fois, il s’agissait de causes vraiment agissantes (aliquas causas agentes***), mais qui ne conféraient pas aux choses l’être au sens où ce mot s’applique universellement à tout ce qui est. Les formes substantielles en question ne faisaient que permuter la matière en lui imposant tantôt une forme, tantôt une autre. C’est ainsi qu’Anaxagore expliquait la diversité de certaines formes substantielles en faisant appel à l’Intelligence, ou qu’Empédocle les expliquait, par l’Amitié et la Haine. 

[…] L’étape dernière fut alors franchie par un autre groupe de philosophes, tels que Platon, Aristote et leurs écoles, qui, réussissant à prendre en considération l’être même dans son universalité, ont été les seuls à poser quelque cause universelle des choses dont tout le reste tînt son être. […] tous les philosophes qui ont posé une cause universelle quelconque des choses (aliquam universalem causam rerum) viennent unanimement à l’appui de cette conclusion théologique : non, il n’existe aucun être qui ne soit créé par Dieu. C’est ce qu’enseigne la foi catholique elle-même, mais que l’on peut démontrer par trois raisons. […]

En effet, la première raison philosophique de poser une cause de l’être universel que retienne ici Saint Thomas, se tire de cette règle, que lorsqu’une même chose se rencontre en commun en plusieurs êtres, il faut qu’elle soit causée en eux par une cause unique. En effet, la présence commune d’une même chose en plusieurs êtres différents ne peut s’expliquer ni par ce qu’eux-mêmes ont de différent, ni par une pluralité de causes différentes. Or l’être (esse) appartient en commun à toutes choses, car elles se ressemblent en ceci, qu’elles sont, bien qu’elles diffèrent les unes des autres en ce qu’elles sont ; il faut donc nécessairement qu’elles ne tiennent pas leur être d’elles-mêmes, mais d’une certaine cause qui soit unique. […]

La deuxième raison se prend des degrés d’être et de perfection. La précédente se contentait de poser l’un comme cause du multiple, celle-ci pose l’absolu, ou le suprême degré dans chaque genre, comme cause de tout ce qui diffère par le plus ou le moins à l’intérieur du même genre. C’est la mesure de la participation au genre qui exige ici qu’on pose dans ce genre un terme suprême, cause unique de ses participations inégales. […]

Observons avec attention les limites des services que Saint Thomas attend ici des philosophes. Il suffit à son propos que Platon et Aristote se soient élevés l’un et l’autre à la considération de l’être universel et qu’ils lui aient assigné une cause unique. Disons plus précisément : il suffit à Saint Thomas que ces philosophes aient su assigner une cause unique à l’une quelconque des propriétés transcendantales de l’être en tant qu’être, que ce soit l’unité avec Platon, ou le bien et la perfection avec Aristote. Ces propriétés sont universellement attribuables à l’être, et Saint Thomas fait honneur à ces philosophes d’en avoir conclu qu’elles doivent nécessairement avoir une Cause unique, mais il n’attribue ni à l’un ni à l’autre une métaphysique de la Création. Platon et Aristote expliquent tout de l’être, sauf son existence même.

La troisième raison nous en conduit aussi près que les philosophes s’en sont jamais approchés ; c’est que ce qui est par autrui se réduit à ce qui est par soi comme à sa cause. Or les êtres donnés dans l’expérience ne sont pas purement et simplement de l’être. D’aucun d’eux on ne peut dire simplement : il est ; on doit toujours dire : il est ceci ou cela. Nous aurons à revenir sur ce fait important. Pour le présent, il suffira d’en retenir qu’il n’existe aucun être simple (c’est-à-dire, simplement et uniquement être) qui soit donné dans l’expérience.

Ce qui n’est qu’une certaine manière d’être, ou qu’un être d’une certaine espèce, n’est manifestement qu’une certaine manière de participer à l’être, et les limites de sa participation sont mesurées par la définition de son espèce. S’il y a des êtres par mode de participation, il doit y avoir d’abord un être par soi : est ponere aliquod ens quod est ipsum suum esse, c’est-à-dire un premier être qui soit l’acte pur d’être, et rien d’autre.

Auteur: Gilson Etienne

Info: Introduction à la philosophie chrétienne, Vrin, 2011, pages 46 à 54 * Les Anciens ont procédé à l'étude de la nature des choses selon l'ordre de la connaissance humaine. ** ils étaient contraints de poser que la matière n'avait pas de cause, et de nier totalement la cause efficiente. *** une certaine cause universelle des choses

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