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eulogie

La belle Ninon est morte, hélas,

Oncques n'en aurai soulas,

Et son mignon frifri

Qui si souvent servit d'abri

A maintes roides montures

( On la disait "de l'enclosure" )

Est froid comme triste pierre

Avant que de passer poussière .

Adieu, belle et charmante amie,

Nous n'irons plus sous la ramie .

"Vita brevis" dit le Romain

Aimez donc, n'attendez à demain .

Ors il est tard, n'hésitez pas

- Ninon l'a dit, Ninon l'a fait -

Car dans ce monde imparfait

Tout se termine par le trépas .

Auteur: Philippe d'Orléans duc de Chartres

Info: 17 octobre 1705. A propos de la mort de Ninon de Lenclos. Il y a un doute sur l'attribution à Philippe d'Orléans, futur régent

[ poème ] [ érotisme ]

 
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eulogie

En 1720, au retour d’un voyage à Karlsbad, Bach apprend que sa femme Maria Barbara est décédée et déjà mise en terre depuis dix jours ; elle laisse 4 enfants, dont l’aînée a 11 ans et le dernier 5 ans. Bach est très profondément affecté par ce décès. Avant la fin de la même année il reprend la composition de ses sonates et partitas, et modifie notamment la Chaconne. Il y introduit, dans les voix de basse et de médium, deux mélodies de chorals : "Que ta volonté soit faite, Seigneur" et le choral de Luther "Christ gisait dans les liens de la mort".

"Sei Solo", titre associé aux Sonates et Partitas au sein de laquelle se trouve cette chaconne, écrit et signé par Bach lui-même dans son manuscrit, présente une ambiguïté. On lui a faussement donné le sens de "Six Solos", mais l’italien correct serait dans ce cas "Sei Soli". "Sei Solo" veut donc dire : "Tu es seul". Quand on connait l’esprit de Bach, où tout est connecté, où les lettres sont cachées et les chiffres participent à l’architecture, le titre est limpide de sens. Cette chaconne en ré mineur, quitte donc le monde de la danse pour devenir un hommage funèbre, méditation à la fois douloureuse et pleine d’espérance sur la mort qui a déjà frappé ses proches à plusieurs reprises et qui vient de lui arracher sa femme. Mais pour le maître de la musique baroque, la mort n’est pas que séparation, chagrin, solitude ; elle libère le croyant du péché, et dans sa désespérance il affirme sa confiance en s’inclinant devant la volonté de Dieu. Par un contrepoint complexe, c’est-à-dire la superposition de plusieurs mélodies différentes, et par des variations infiniment savantes, il exprime sa lamentation, son découragement, sa peur et sa douleur qui sont le pain des larmes du croyant. Sa piété l’a porté tout au long de sa vie, dans les turbulences comme dans les moments les plus heureux. Bach ressentait au fond de son coeur la nostalgie "Sehnsucht" de la mort ; il l’a traduite dans de nombreuses oeuvres, comme ici où il chante la lassitude de la vie, l’attente de la mort qui libère et apaise, la certitude de la victoire sur la mort par le Christ ressuscité – Alleluia –, et l’assurance de la résurrection.

Christian Tetzlaff dans "A Musicology of Performance : Theory and Method Based on Bach's Solos for Violin" avance que dans cette pièce le maître use les parties jouées sur deux cordes à la fois pour ramener sa femme à la vie, pour ainsi dire, en tant que second violoniste virtuel. On est semble t'il en pleine interprétation romantique. Romantisme allumé par Bach lui-même par la qualité exceptionnelle d'un métier de fer qui lui permet d'exprimer et développer sur la mort avec beauté et profondeur. Douleur du manque doublée du sentiment ressassé de cette condition de "passager" de l'animal humain, effet émotionnel qui sera fortement renforcé par les compositeurs renommés qui suivirent et portèrent JSB au nues, Schumann, Brahms, Chopin... Un violonniste m'a dit un jour que la chaconne est comme un "arbre gorgé de fruits sous la neige". Jehudi Menuhin la joua durant l'entracte d'un concert avec le Philharmonique de Berlin et la dédia à sa soeur Hephzibah qui venait de mourir. Auditeurs bien entendu au bord des larmes. Mais laissons cela : Bach parle de son art comme d'une "Rekreation des Gemüts", "recréation du coeur et de l'esprit". Il a réussi ; point besoin d'être spécialiste, l'écouter suffit pour vivre mieux.

(Pour les spécialistes) Des recherches ont été effectuées par la musicologue Helga Thoene sur les paroles des Chorals cités tout au long de la Chaconne de la Partita II. Mises bout à bout elles révèlent une signification, une sorte de tombeau dédié à sa femme. Il utilise Ré mineur, la tonalité de la mort. La danse a des airs sacrés, un peu mystiques dans ses variations. Le passage central en majeur est comme une visite au paradis, suivie par le terrible retour sur terre... Et après cette Chaconne, on repasse en majeur dans l’Adagio de la Sonate III, avec une marche en quatorze stations comme le chemin de croix. Le religion est omniprésente dans la vie et l’oeuvre de Bach. Dieu est partout dans sa musique.

Auteur: Mg

Info: 2019, compil de diverses sources

[ chef d'oeuvre ] [ émoi ] [ pré-romantisme ] [ libération ] [ théologie musicale ]

 
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eulogie

L’inutilité fonctionnelle de la mort de Luhmann

Nécrologie en parallèle à certaines étranges formulations

Niklas Luhmann est donc mort. Le 6 novembre 1998, il a cessé de mourir, sous réserve de comprendre la mort comme appartenant à la vie, qui prend fin en même temps que la mort. Les grands médias n’ont pas pu en faire part ; on y célébrait plutôt l’anniversaire d’un autre grand maître de l’ironie, Viktor von Bülow, alias Loriot. Dans les feuilletons des journaux bourgeois en revanche, notamment dans la taz, on a fait des adieux au " grand maître de la théorie ", au " théoricien de la société moderne sans doute le plus important " de la République fédérale. Mais à quoi disait-on adieu ?

Si l’on applique certaines hypothèses fondamentales de la théorie de Luhmann à lui-même, on ne sait plus très bien ce qui s’est réellement passé avec la mort du système biologique et psychique nommé Luhmann. Car d’un côté, la mort - comme le dit l’un  théoricien-référence majeurs de Luhmann, Humberto R. Maturana - c'est la dissolution de l’autopoïèse ; de l’autre, la mort n’a aucun rôle-fonction dans l’autopoïèse. Elle en aurait une si l’on partait du principe que l’autoproduction éternelle d’un système fait partie de ses opérations. C’est peut-être le cas pour les chrétiens, les croyants en la réincarnation ou autres personnes religieuses ; mais sûrement pas pour la théorie de l’autopoïèse, et donc pas pour Luhmann. Pour lui, la vie n’a pas de but, et l’histoire des systèmes vivants ne suit aucun dessein. " Elle se passe ", dit Maturana.

Et la mort ? " L’événement mort survient simplement. " Rien de plus.

Hermann Pfütze rapporte une citation de Luhmann (probablement du milieu des années 1980) qui, malgré son caractère cryptique, pourrait aujourd’hui apporter un éclairage. Cette citation concernait un élément du " cosmos des essences " de sa théorie et les conditions permettant l’autoproduction de sa théorie elle-même. Luhmann dit (selon Pfütze) : " Lorsque l'unité indifférenciée, conceptuellement formulée-bétonnée par moi, est atteinte, tout est terminé." Qu’est-ce qui prend fin ? L’acte de  bétonner ? L’unité sans différence ? Le sens-concept en lui-même ? Et : qui ou quoi atteint cette unité sans différence coulée dans le béton du concept de sens ? Et que signifie " atteindre " : pouvoir observer, toucher, consommer, la fin de l’horizon ?

L’unité indifférenciée dans cette idée : c’est la vie. Pas la vie au sens de la philosophie de l'existence, mais la vie comme concept de création. La créativité, l’autoproduction de la théorie de Luhmann n’a intrinsèquement aucun moyen de s’arrêter elle-même. Techniquement, elle a éliminé la possibilité d’un dernier moment, d’un dernier événement, d’une dernière opération au sein du système. Le concept de sens social est et reste donc contingent dans sa clôture, bien qu’autonome dans sa continuation. La plausibilisation de l’autonomie de la continuation : c’est ici que Luhmann a déployé des efforts considérables. Pour le dire grossièrement, les systèmes ne naissent plus ; ils se génèrent eux-mêmes. Mais la mort/l’arrêt de la vie reste inaccessible pour le système. Il n’y a pas de suicide des systèmes autopoïétiques, du moins pas encore. Et, plus grave peut-être : il n’y a pas de suicide du sens. Ce qu’on peut faire, c’est soit attendre l’arrivée de la mort (le bien connu "être jusqu'au décès"), soit faire comme si la vie vivait pour elle-même (autopoïèse). Luhmann connaissait les deux options et a choisi la seconde. Mais était-il poussé par la première ?

Peut-être bien. Son livre La Société de la société* est précédé d’une citation de Spinoza (Éthique, partie I, axiome 2) : " Ce qui ne peut être conçu par autre chose doit être conçu par soi-même. " Visiblement, il ne s’agit pas ici d’une forme d’auto-conception, de conscience de soi, d’autoréflexion, ni d’une forme d’apparition devant soi, car alors il faudrait dire : "...doit se concevoir par soi-même." Il s’agit plutôt de l’idée que les systèmes qui sont conçus produisent leur réalité par leur propre action ; qu’ils créent eux-mêmes le fond sur lequel ils se détachent comme figure ; qu’ils sont aussi la cause dont ils sont l’effet ; qu’ils ont eux-mêmes posé la question à laquelle ils répondent. Luhmann voulait penser le monde avec des concepts qui ne se laissent plus duper par la réalité, il voulait rendre le concept plus fort que son objet. Le prix à payer pour ces systèmes théoriquement conçus pour " se vivre " eux-mêmes est qu’ils ne peuvent plus apparaître devant eux-mêmes, mais peuvent à tout moment se percevoir eux-mêmes. Chez Whitehead,  véritable précurseur philosophique de Luhmann, c'est exprimé comme suit : "Un individu est réel lorsqu'il a une signification pour lui-même. Il s’ensuit qu’un individu réel agit en fonction de sa propre détermination. Ainsi, un individu réel unit en lui identité et différence." (Procès et réalité, p. 69).

L’individu luhmannien est, comme on le sait, l’événement, qui ne produit paradoxalement l’unité de l’identité et de la différence qu’en distinguant à la fois entre désigner et distinguer, et entre l’événement comme opération opérante et opération observante. Les individus luhmanniens sont donc dans le temps, ou plutôt : dans la temporalité, des individus réellement agissants. S’il n’y avait que la dimension du temps, il n’y aurait pas de mort. La mort est une propriété de l’espace, y compris l’espace de l’observateur. Ranulph Glanville décrit à quoi ressemble la mort là-bas : " Chaque objet est un auto-observateur. Certains objets observent d’autres objets. Certains objets sont observés par d’autres objets. Mais un objet peut être un non-observateur-d’autres-objets et un non-observé-par-d’autres-objets. Un tel objet habite l’univers inconnu des autres. Il ne sait pas qu’il habite l’univers, et l’univers ne sait pas qu’il est un habitant. "

Cet événement, à savoir être à la fois un non-observateur-d’autres-objets et un non-observé-par-d’autres-objets (une description un peu trop précise de la mort), n’existe pas dans la théorie de Luhmann. Il ne peut pas exister. C’est impossible. Mais c’est précisément cette impossibilité qui semble être la raison maîtresse de la construction luhmannienne de la société de la communication.

Si le véritable désir de Luhmann est de construire une théorie de la société au-delà des traditions d’interprétation anthropologiques et humanistes, de sorte que les affirmations sur les systèmes sociaux soient fondées et dérivables exclusivement dans la socialité des systèmes sociaux (c’est-à-dire dans la communication), et que ces affirmations rencontrent des modes d’opération et des principes organisationnels formels qui, à leur tour, ne peuvent rien dire de spécifique sur le système social, mais agissent de manière transsociétale — dans la cellule comme dans le système psychique, dans le cerveau comme dans la communication, dans le système immunitaire comme dans l’amour — ; si donc sa sociologie (dans le domaine de la théorie de la connaissance) n’a pour tâche que de compléter l’épistémologie naturalisée de Quine en y ajoutant la sociologie : pourquoi alors Luhmann maintient-il le sens comme un concept qui échappe à toute naturalisation, à toute métabiologisation ? Est-ce ce que la systématicité autopoïétique a-historique permet comme historicité dans le domaine de la socialité, afin de reproduire les conditions nécessaires à l’accomplissement de l’autopoïèse sans histoire ? — " Seuls les 'sujets' ont besoin d''esprit ' ", dit Luhmann avec dédain. Mais pourquoi la communication socio-sociétale a-t-elle besoin de sens ? (Une hypothèse plausible serait que, pour Luhmann, la communication basée sur et véhiculant le sens, y compris celle qu’il pratique avec sa théorie, n’a elle-même que le statut d’une réduction de complexité assez grossière ; car son destinataire, c’est-à-dire le destinataire de sa théorie, ce sont les machines sémantiques, symboliques, sociales et techniques qui réduisent, produisent et gèrent la complexité. Mais ces machines n’ont pas besoin de sens pour elles-mêmes afin de faire sens pour les humains : elles se comportent simplement, mais n’agissent pas ; elles fonctionnent, ou ne fonctionnent pas. Elles sont déjà " à la fin ", c’est-à-dire là où l’unité sans différence, coulée dans le béton du concept de sens, est atteinte. Seulement, les machines cybernétiques n’en savent rien. Et elles n’en ont pas besoin en ce qui concerne l’action ; car les actions ne sont, généralisées, que des formes d’auto-description des systèmes de communication et donc des "inventions autonomes relatives au système. [...] Il s’agit toujours d’une auto-simplification dans le système concerné" (Luhmann). Avec sa théorie, Luhmann délivre aux machines le certificat qu’elles sont l’avant-garde véritable de tous les non-morts, qu’elles sont la véritable objectivation de ce qui revendique la vitalité pour soi. Mais malheureusement, il n'est lu que par des personnes qui lisent que cela ne les concerne pas. — Peut-être est-il aussi possible que ma perspective soit étroite et qu’un jour, quelqu’un écrive sur Luhmann avec la même plausibilité ce qu’Adorno a écrit sur Hegel : "Hegel, critiqué pour son idéalisme en comparaison avec la concrétion des écoles phénoménologiques, anthropologiques et ontologiques, a introduit infiniment plus de concret dans la pensée philosophique que ces courants, non pas parce que son sens de la réalité et son regard historique auraient contrebalancé sa fantaisie spéculative, mais en vertu de la démarche de sa philosophie — on pourrait dire, à cause du caractère expérientiel de la spéculation elle-même.")

Luhmann est donc mort. La communication sur ses textes, ses pensées et sa théorie, elle, est loin d’être terminée. Peter Fuchs, sans doute l’épigone le plus original de Luhmann, a souligné dans son dernier livre, dissimulé dans une note de bas de page, qu’avec l’œuvre de Luhmann, surtout avec La Société de la société, il reste quelque chose que l’on ne croyait plus possible après plus de vingt ans de troisième postmodernité, à savoir : un grand récit.

Dans ce récit, la mort de Luhmann n'apparaît pas. Son décès demeure un élément environnemental du système " Luhmann ".

Une consolation qui n’aide pas vraiment.



 

Auteur: Ternes Bernd

Info: https://userpage.fu-berlin.de/miles/Tod.html *Die Gesellschaft der Gesellschaft

[ sociologue-par-sociologue ] [ univers impersonnel ] [ homme-machine ] [ non subjectivité ] [ Umwelt ] [ idiosyncrasie ] [ philosophe-par-philosophe ] [ spiritualité ] [ mort intégrée ]

 

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eulogie

Si je devais capter Miles Davis en un mot, ce serait le timing. Par exemple, dans le sens musical, jouer des croches exactement au milieu du temps. Ou savoir quand engager quelqu'un de nouveau, avoir simplement le sens du changement. Même dans le rythme dramatique de sa vie, comme ces concerts rétrospectifs qu'il a donnés deux mois avant sa mort, il savait quand faire les choses - quand, qui et quoi utiliser dans sa vie - et quand s'incliner... l 'ultime producteur/réalisateur. Tout ce qu'il faisait, il le faisait avec un sens incroyable du timing.

Miles avait toujours été à la pointe de la musique, restant d'actualité, toujours en recherche. Dans les années 1980, alors qu'il avait entre 50 et 60 ans, sa santé l'empêchait parfois d'en faire trop, mais il prenait le temps de faire d'autres choses que de la musique. Il est devenu plus extraverti, plus disposé à partager ses connaissances et sa sagesse. Il a accordé de nombreuses interviews au cours de ces dernières années et a parlé ouvertement. Il a co-écrit sa biographie et s'est beaucoup investi dans la peinture, à un niveau assez élevé d'ailleurs. J'ai eu l'impression que dans ses dix dernières années, Miles agissait plus comme un grand maître de l'art qu'il ne l'avait jamais fait auparavant.

Ma mère a remarqué un article dans le New York Times en août disant que Miles Davis était malade en Californie, la nature de la maladie n'étant pas divulguée. Pour moi, il était toujours à l'hôpital, donc ce n'était pas alarmant. Ce qui était effrayant, c'était de lire que son mal n'était pas rapporté et que sa famille n'en parlait pas.

Miles avait été en tournée tout l'été jusqu'à la fin août. En juillet, il a participé à deux événements importants : l'un produit par Quincy Jones au Festival de Jazz de Montreux qui célébrait la musique que Gil Evans et Miles avaient faite ensemble. L'autre à Paris était encore plus spécial : une situation de petit groupe qui se concentrait sur Miles et ses anciens musiciens, de Jackie McLean à Joe Zawinul, Wayne Shorter, John McLaughlin, John Scofield et Kenny Garrett, jouant des morceaux comme "All Blues" et "In A Silent Way". Il a reçu la Légion d'Honneur des Français... leur plus haute distinction - c'était un grand été.

Ces concerts étaient vraiment remarquables. Les deux auraient dû être considérés comme rétrospectifs, quelque chose que Miles avait refusé de faire dans le passé. Quand il est revenu de sa pause dans les années 80, les Japonais lui ont offert un million de dollars pour se réunir avec Herbie, Tony, Ron et Wayne... le grand deuxième quintette. Il n'a pas voulu le faire. À la place, c'est devenu le groupe VSOP, avec Freddie Hubbard à la trompette. Miles a refusé parce que ce n'était pas dans sa nature de regarder en arrière.Il considérait ces événements rétrospectifs avec scepticisme.

Le lendemain de la mort de Miles, il y avait un concert près de chez moi en Pennsylvanie avec Keith Jarrett, Jack DeJohnette et Gary Peacock. C'était une très belle performance. Après le spectacle, je suis allé en coulisses et nous étions tous assis là, choqués. Jack a dit : "Ce que nous avons tous informé de lui, c'est de : 'Rester sur sa voie, et ne laisser personne vous en détourner'". J'ai demandé si quelqu'un avait entendu parler des funérailles. Il a dit : "Non. Mais ils devraient les faire au Madison Square Garden."

Ce mercredi-là, j'ai reçu un appel de Jim Rose du bureau de George Wein. Il avait été le manager de tournée de Miles pendant que j'étais dans le groupe et pendant de nombreuses années après. "C'est un service commémoratif sur invitation seulement. Peux-tu venir ?" Le service était à l'église St. Peter's sur la 54e rue et l'avenue Lexington, où le révérend John Gensel avait présidé les services commémoratifs de jazz pour tant de musiciens de jazz - Coltrane, Monk, etc., presque non confessionnelle. Le service était ce samedi-là, une semaine après la mort de Miles.

Quand je suis arrivé, on serait cru à Hollywood. La presse était alignée à l'extérieur, beaucoup de limousines partout, etc. À l'intérieur, c'était comme si Miles était là. Ils avaient d'énormes photos de lui en train de jouer, recevant la médaille des Chevaliers de Malte, toutes superbes et souriantes. C'était tellement dramatique. C'était aussi étrange d'une certaine manière parce que c'est une grande église et ils avaient mis les haut-parleurs à bas volume, jouant "All Blues" et d'autres morceaux, pendant que tout l'était endroit silencieux. Tout le monde était calme. J'étais assis à côté de Monty Alexander. Nous nous sommes juste regardés et j'ai dit : "Oh mon Dieu, c'est tellement bizarre."

J'ai regardé autour de moi dans la salle. Je dirais qu'il y avait quatre ou cinq cents personnes - pas mal que je ne connaissais pas, et beaucoup de musiciens de ma période avec Miles que je n'avais pas vus depuis vingt ans, ainsi que des visages familiers comme Jack DeJonette, Wayne Shorter, Dave Holland et Herbie Hancock. J'ai réalisé que le lien commun entre nous tous était que nous avions été avec Miles quand nous étions jeunes et impressionnables, pas encore pleinement formés. Pour chacun d'entre nous, il avait été notre première grande chance. Cela liait la cinquanteaine de musiciens présents qui avaient eu la chance de jouer avec lui au cours des quarante-cinq dernières années.

David Dinkins, le maire de New York à l'époque, a été le premier de nombreux orateurs. Il a qualifié Miles de New-Yorkais par excellence, disant qu'il était venu d'East St. Louis pour étudier à Juilliard et avait vécu ici toute sa vie. Quincy Jones a parlé de comment Miles était sa grande idole dans les années 40 et 50. Max Roach a parlé de comment ils avaient été ensemble pendant des années et comment il avait aidé Miles à arrêter la drogue. D'autres ont parlé de son influence, de sa personnalité... de son apparence, de son élégance vestimentaire, des voitures, des femmes et de la boxe. Ils ont parlé de son charisme.

Bill Cosby, en tant que M. Entertainer, a été le meilleur. Il a immédiatement allégé l'atmosphère : "C'est OK d'applaudir", at-il dit. "Miles va bien, tout va bien." Puis il a raconté de belles histoires. Il a raconté des anecdotes sur ce que Miles faisait à 3 heures du matin dans un club de New York et qui était rapporté à Philadelphie à 3h30. Les gars couraient partout en parlant de ce qu'il portait, de ce qu'il jouait, de qui il engageait, de qui il virait. Bill : "C'est dire à quel point il était important."

À un moment donné, Cosby a dit que certaines personnes disaient que Miles avait le SIDA (SIDA). Puis il a dit : "Mais dans quel ordre ? Il avait fallu au moins quinze trucs pour abattre ce gars." C'était vrai. C'était un incroyable témoignage de la force de Miles. Il était une personne fragile à certains égards, mais à bien des égards, il était très fort. Il y avait toujours ces deux visages en lui - c'était un boxeur qui avait eu une prothèse de hanche, une anémie falciforme, du diabète. Je me suis laissé dire que sept accidents vasculaires cérébraux en 24 heures lui avaient apporté le coup de grâce.

Je dirais que Jesse Jackson fut le meilleur orateur. Je ne l'avais jamais entendu parler en direct, mais on pouvait tout de suite dire que ce gars était un orateur entraîné - fort, un vrai prédicateur avec une voix comme la Force . Il a prononcé un éloge écrit, terminant par une belle analogie poétique pour Miles. "Il était notre musicien... qui soufflait dans sa trompette, avec son âme" et ainsi de suite. C'était extrêmement édifiant.

Finalement, Quincy est remonté et dit : "Je vais montrer un peu de ce film de Gil Evans de Montreux." Au début, c'était tellement étrange. Miles se levait pour jouer, il souriait et saluait, mais il n'y avait pas de son. Puis la performance réelle de "Summertime" est arrivée. Il a joué la mélodie et un chœur - et c'est ainsi que le service s'est terminé après environ une heure et demi. Je suis sûr que tout le monde craignait que ce soit désorganisé, mais au final, c'était digne et inspirant. Ce n'avait pas été un cirque.

Après, tout le monde est resté, et ça a en quelque sorte cimenté le lien entre ceux d'entre nous qui avaient réellement travaillé avec lui. James Williams est passé et a dit : "Je suppose que l'école est finie." Wayne Shorter avait un grand sourire sur le visage : "J'ai vu Miles... il m'a rendu visite... tout va bien. Ne vous inquiétez pas, tout va bien." J'ai senti que cela résumait ce que nous ressentions tous - à savoir que Miles était parti quand il voulait partir. Bien qu'il n'ait eu que 65 ans, il avait vécu une bonne vie, bien rempli, et il est parti à un bon moment. Regardez ce que l'homme a laissé derrière lui.

Je suis d'accord avec Wayne et Cos. Ce n'était pas une tragédie - c'était vraiment OK. C'est ce que je ressentais, et c'est ce que je ressentai pour toujours, j'en sûr suis.

Miles avait demandé à être enterré à côté de Duke Ellington au cimetière de Woodmere dans le Bronx. Je pense que c'est approprié qu'ils soient ensemble parce que si quelqu'un a une influence sur la musique du 20e siècle à travers la voix du jazz, ce sont définitivement ces deux artistes. Avec quelques autres chats (Bird*, Pops**), ils sont toujours largement au-dessus de tout le monde pour ce qu'ils ont accompli en apportant le jazz au monde.



 

Auteur: Liebman David

Info: https://davidliebman.com/ Sur le décès de Miles Davis (écrit après les funérailles en 1991) *Charlie Parker, **Louis Armstrong

[ obsèques ] [ vingtième siècle ]

 

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