La médecine donc, vous le remarquez ici, s’est toujours crue scientifique. C’est en quoi d’ailleurs elle a toujours montré ses faiblesses. Par une sorte de nécessité interne de sa position, elle s’est toujours référée à une science qui était celle de son temps, bonne ou mauvaise. Qu’elle fût bonne ou mauvaise, comment le savoir du point de vue de la médecine ?
Quant à nous, nous avons le sentiment que notre science, notre physique, est toujours censée être une bonne science et que pendant des siècles nous avons eu une physique très mauvaise. Ceci est effectivement tout à fait assuré. Ce qui n’est pas assuré, c’est ce que la médecine a à faire de cette science, c’est à savoir comment et par quelle ouverture, par quel bout elle a à la prendre, tant que quelque chose n’est pas élucidé pour elle, la médecine, et qui n’est pas, comme vous allez le voir, la moindre des choses, puisque ce dont il s’agit c’est de l’idée de "santé".
Très exactement : qu’est-ce que la santé ? Vous auriez tort de croire que même pour la médecine moderne qui, à l’égard de toutes les autres, se croit scientifique, la chose soit pleinement assurée. De temps en temps on propose l’idée "du normal et du pathologique" comme sujet de thèse à quelque étudiant. C’est un sujet qui leur est en général proposé par des gens ayant une formation philosophique, et nous avons là-dessus un excellent travail de M. CANGUILHEM. Évidemment, c’est un travail dont l’influence est fort limitée dans les milieux proprement médicaux.
Or il y a une chose en tout cas - sans chercher à spéculer à un niveau de certitude socratique sur "la santé en soi" - qui à soi tout seul, pour nous tout spécialement psychiatres et psychanalystes, qui montre à quel point l’idée de "santé" est problématique : ce sont les moyens mêmes que nous employons pour rejoindre l’état de "santé". Lesquels moyens nous montrent, pour dire les choses dans les termes les plus généraux que quoi qu’il en soit de la nature, de l’heureuse forme qui serait la forme de la "santé", au sein de cette heureuse forme nous sommes amenés à postuler des états paradoxaux, c’est le moins qu’on puisse en dire, ceux-là mêmes dont la manipulation dans nos thérapeutiques est responsable du retour à un équilibre, qui reste dans l’ensemble, comme tel, assez incritiqué.
Années: 1901 - 1981
Epoque – Courant religieux: récent et libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: psychanalyste
Continent – Pays: Europe - France