La démission des véritables élites a laissé se dresser peu à peu, en face du prolétariat ouvrier, un prolétariat bourgeois. Il n’a ni la stabilité de l’ancienne bourgeoisie, ni ses traditions familiales, moins encore son honnêteté commerciale. Les hasards de l’anarchie économique le renouvellent sans cesse. Il a ses manœuvres comme l’autre. Quel nom donner en effet à ce ramas de petits commerçants dont l’inflation d’après-guerre a démesurément grossi le nombre et que les faillites déciment en vain chaque jour ? Pourquoi d’ailleurs leur donner le nom de commerçant ? Un commerçant jadis était le plus souvent un producteur. Les difficultés de l’approvisionnement, la rareté des marchandises, leur diversité en un temps où la fabrication en série n’existait pas, les exigences d’une clientèle habituée à se transmettre de génération en génération les plus humbles objets domestiques, le sévère contrôle de l’opinion provinciale, le jeu naturel des alliances et des amitiés, l’obligation d’obéir, au moins en apparence, aux préceptes du Décalogue touchant le respect de la propriété d’autrui, faisaient du négoce, un art. Aujourd’hui n’importe quel va-nu-pieds peut se vanter d’appartenir à la corporation pourvu que, locataire d’une boutique, il s’inscrive comme dixième ou vingtième intermédiaire entre l’industriel qui se ruine pour produire à bas prix et le chaland imbécile dont le destin est de se faire voler.
Années: 1888 - 1948
Epoque – Courant religieux: industriel
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Europe - France