D’une façon ou d’une autre, on est obligé de dire que le mal a une cause. Le mal, en effet, est le défaut d’un bien qu’un être est naturellement apte à avoir, et doit avoir. Or, un être ne peut être privé de la disposition due à la nature que si une cause lui soustrait cette disposition. Un corps lourd ne s’élève que si quelqu’un le lance ; un agent ne manque son action qu’en raison d’un obstacle. Mais être cause ne peut être que le fait d’un bien ; car rien ne peut être cause sinon en tant qu’il est de l’être, et tout être, en tant que tel, est un bien. Du reste, si nous considérons la nature particulière des causalités, nous voyons que l’agent, la forme et la fin impliquent chacun une certaine perfection qui se rattache à la raison de bien. La matière elle-même, en tant qu’elle est en puissance au bien, a raison de bien.
Ce qui précède prouve que le bien est cause du mal à la manière d’une cause matérielle, car on a montré que le bien est le sujet du mal. Quant à la cause formelle, le mal n’en a pas, car il est plutôt une privation de forme. Il en est de même de la cause finale ; car le mal, loin d’avoir une fin, est bien plutôt la privation de l’ordination à la fin requise ; car ce n’est pas seulement la fin qui a raison de bien, mais aussi l’utile, qui est ordonné à la fin. Si le mal a une cause efficiente, c’est une cause qui ne le produit pas directement, mais par accident.
Pour en avoir la preuve, il faut savoir que le mal n’est pas produit de la même manière dans l’action et dans l’effet. Dans l’action, le mal est causé par le défaut de l’un des principes de l’action, soit du côté de l’agent principal, soit du côté de l’agent instrumental. Ainsi, un défaut de motricité chez le vivant peut provenir ou d’une faiblesse de l’organisme, comme chez l’enfant, ou du mauvais état des membres qui en sont les instruments, comme chez les boiteux. Dans une chose, au contraire, le mal a pour cause parfois la puissance de l’agent (non pas toutefois dans l’effet propre de cet agent), et parfois le défaut de l’agent ou de la matière. Le mal est produit par la puissance ou la perfection de l’agent, quand, à la forme voulue par cet agent, est liée comme une conséquence nécessaire la privation d’une autre forme. Ainsi la combustion implique-t-elle la destruction de l’air ou de l’eau, de sorte que, plus le feu est puissant et actif, plus il imprime énergiquement sa forme, et plus il détruit avec énergie ce qui lui est contraire. Le mal et la destruction de l’air ou de l’eau provient de la perfection du feu. Mais cela est produit par accident ; car le feu ne tend pas à expulser la forme de l’eau, il tend à introduire sa propre forme ; seulement, en faisant ceci, il cause cela par accident. Mais s’il y a un défaut dans l’effet propre du feu, c’est-à-dire s’il ne réussit pas à chauffer, cela provient d’un défaut de l’action même, défaut qui est dû à un manque dans le principe d’action, comme on l’a dit ; ou bien cela tient à une mauvaise disposition de la matière, qui ne reçoit pas l’action du feu. Or ce fait même d’être déficient, est accidentel au bien, auquel il convient par soi d’agir. Cela prouve de toute manière que le mal n’a de cause que par accident. Et c’est ainsi que le bien est cause du mal.
Années: 1225 - 1274
Epoque – Courant religieux: moyen âge
Sexe: H
Profession et précisions: philosophe et théologien
Continent – Pays: Europe - Italie