Ce livre traite des intrications. Être intricationnel ne signifie pas simplement être entrelacé avec un autre, comme pour la jonction d'entités séparées, mais manquer d'une existence indépendante et autonome. L'existence n'est pas une affaire individuelle. Les individus ne préexistent pas à leurs interactions ; ils émergent plutôt à travers et en tant que partie de leurs relations internes intriquées. Cela ne signifie pas que l'émergence se produise une fois pour toutes, comme un événement ou un processus se déroulant selon une mesure externe de l'espace et du temps, mais plutôt que le temps et l'espace, comme la matière et le sens, naissent et sont reconfigurés de manière itérative à travers chaque intra-action, rendant ainsi impossible toute distinction absolue entre création et renouvellement, commencement et retour, continuité et discontinuité, ici et là, passé et futur. 

La nature même de la matérialité est une intrication. La matière elle-même est toujours déjà ouverte à l'Autre, ou plutôt intriquée avec lui. Les " parties " intra-actives émergentes des phénomènes sont co-constituées. Non seulement les sujets, mais aussi les objets, sont imprégnés de part en part de leurs parents intriqués ; l'Autre n'est pas seulement dans notre peau, mais dans nos os, dans notre ventre, dans notre cœur, dans notre noyau, dans notre passé et notre avenir. Cela est aussi vrai pour les électrons que pour les ophiures et pour l'humain différentiellement constitué… Ce qui se trouve de l'autre côté de la coupure agentielle n'est pas séparé de nous – la séparabilité agentielle n'est pas l'individuation. L'éthique ne concerne donc pas la juste réponse à un autre radicalement extériorisé, mais la responsabilité et l'imputabilité envers les relations vivantes du devenir dont nous faisons partie.