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Dostoïevski

Raskolnikov vivait sa véritable vie lorsqu'il reposait sur le sofa dans sa chambre, ne gambergeant pas du tout sur la vieille femme, non plus sur l'idée qu'il est permis qu'un homme en supprime un autre de la surface du globe, mais plutôt si il devait vivre à St Petersbourg ou non.. ou encore si il devait accepter de l'argent de sa mère ou pas... et sur d'autres questions, pas reliées du tout à la vieille femme. Alors - dans cette région plutôt indépendante des activités animales - la question de tuer ou pas cette vieille femme fut tranchée. La chose fut décidée... alors qu'il ne faisait rien si ce n'est penser, sa seule conscience active : et dans cette conscience, de petites, toutes petites altérations prennent place. C'est dans une telle période qu'on doit avoir la plus grande clarté pour décider correctement la - ou les - questions qui se posent. Et c'est juste à cet instant qu'un verre de bière, ou une cigarette, peuvent empêcher la solution... différer la décision, étouffer la voix de la conscience et favoriser une décision sur la question proche la basse nature animale - tel est le cas avec Raskolnikov. D'infimes altérations - mais d'elles dépendent les plus énormes et terribles conséquences.

Auteur: Tolstoï Léon

Info: sur Raskolnikov dans Crime et châtiment...

[ détail ] [ littérature ]

 

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rapports humains

Si on posait le problème psychologique : comment faire pour que les gens de notre époque, les chrétiens, les humanitaires, les gens simplement bons accomplissent les plus horribles forfaits sans se sentir coupables, une seule solution serait possible : il faudrait créer ce qui existe actuellement. Il faudrait que ces gens fussent gouverneurs, officiers, directeurs, c'est-à-dire qu'ils fussent d'abord persuadés qu'il est une chose appelée service de l'État, qui permet de traiter les êtres comme des objets, sans aucun rapport humain et fraternel, et deuxièmement que ces gens au service de l'État fussent solidaires, de telle sorte que la responsabilité des conséquences de leurs actes ne retombe sur personne séparément. En dehors de ces conditions, il n'est pas possible, à notre époque, que s'accomplissent des forfaits comme j'en ai vus aujourd'hui. Tout vient de ce que les gens s'imaginent qu'il existe des circonstances dans lesquelles on peut traiter sans amour ses semblables : or ces circonstances n'existent pas. Avec les choses on peut se comporter sans amour : on peut couper des arbres, faire des briques, forger sans amour ; mais avec des êtres humains on ne peut se comporter sans amour, […] parce que l'amour réciproque des êtres humains est la loi fondamentale de la vie. […] Si tu ne sens pas d'amour pour les hommes, alors reste tranquille, pensait Nekhlioudov, occupe-toi de toi-même, d'objets, de ce que tu voudras, excepté des hommes.

Auteur: Tolstoï Léon

Info: Résurrection, Deuxième partie, Chapitre XL

[ sociologie ] [ déresponsabilisation ] [ inhumanité ]

 

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bilan d'existence

J'ai constaté que toute ma longue vie se divise en quatre périodes : la première, merveilleuse, surtout si on la compare à celle qui devait lui succéder, innocente joyeuse et poétique période de mon enfance, allant jusqu'à quatorze ans (1828-1842). Puis l'horrible deuxième période, s'étendant sur vingt années, de la dépravation la plus grossière, de l'asservissement à l'ambition, à la vanité et, surtout à la concupiscence (1842-1862) ; ensuite, la troisième période, allant de mon mariage à ce que j'appelle ma naissance spirituelle, période qui, du point du vue du monde, peut-être appelée morale. Pendant ces dix-huit ans, j'ai, en effet, vécu une vie régulière, honnête, familiale, exempte de tous les vices qui encourent la réprobation publique. Mais, je durant tout ce temps, je ne me préoccupais égoïstement que de ma famille, de l'accroissement de ma fortune, de mes succès littéraires et divers autres plaisirs et distractions (1872-1880). Enfin la quatrième période dans laquelle je vis maintenant, dans laquelle j'espère mourir et du sein de laquelle je vois toute la signification de ma vie passée... Je voudrais pouvoir raconter l'histoire de ma vie durant ces quatre périodes successives, si Dieu m'en donne les forces et le temps. Je pense qu'une telle biographie, écrite par moi, serait plus utile aux hommes que tout ce bavardage artistique qui remplit les douze volumes de mes oeuvres et auxquels les hommes de notre temps attribuent une signification imméritée.

Auteur: Tolstoï Léon

Info: Le Roman de Tolstoï, dans les Notices autobiographiques de Tolstoï datées de 1903, à son biographe Paul Birioukov, rapporté par Vladimir Fédorovski

[ biographie ]

 

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cours naturel de la vie

Je me mis donc à fréquenter des croyants pauvres, des gens simples, analphabètes, des pèlerins, des moines, des vieux-croyants, des paysans. Ces gens du peuple confessaient la foi chrétienne, tout comme les pseudo-croyants de notre milieu. Un grand nombre de superstitions étaient mêlées aux vérités chrétiennes, mais à la différence des gens de notre milieu, dont les superstitions ne leur servaient à rien, ne s'accordaient pas à leur vie, n'étaient qu'une sorte d'amusement épicurien, celles des croyants issus du peuple travailleur étaient tellement liées à leur vie qu'on ne pouvait imaginer leur vie sans ces superstitions, celles-ci étaient une condition nécessaire de leur vie. Toute la vie des croyants de notre milieu était en contradiction avec leur foi, tandis que toute la vie des croyants travailleurs confirmait le sens de la vie que leur apportait la connaissance de leur foi. Je me mis à regarder de plus près la vie et les croyances de ces gens, et plus je les sondais, plus je voyais qu'ils avaient la vraie foi, nécessaire pour eux, et qu'elle seule leur donnait le sens et la possibilité de la vie. A la différence de ce que je voyais dans notre milieu, où il est possible de vivre sans foi et où il est rare qu'une personne sur mille se reconnaisse comme croyante, dans leur milieu à eux, on s'étonne de rencontrer un non-croyant sur mille personnes. Contrairement à ce que je voyais dans notre milieu où toute la vie se déroule dans l'oisiveté, dans des distractions, et où l'on est mécontent de la vie, je vis que toute la vie de ces gens était faite de pénible labeur, et qu'ils étaient heureux de vivre. A la différence de l'indignation qu'éprouvent les gens de notre milieu contre leur sort pour les privations et les souffrances que celui-ci leur inflige, ces gens-là accueillaient les maladies et les malheurs sans la moindre plainte ni révolte, mais avec une tranquille et ferme certitude que tout cela est un bien. Nous autres, plus nous sommes intelligents, et moins nous comprenons le sens de la vie, et plus la maladie et la mort nous apparaissent comme une cruelle moquerie, tandis que ces gens, eux, vivent, souffrent et s'approchent de la mort, et souffrent encore avec calme, la plupart du temps avec joie. Si une mort sereine, une mort sans terreur ni désespoir est une rare exception dans notre milieu, il est exceptionnel de voir, dans le peuple, une mort accompagnée d'angoisse, de révolte, d'affliction. Et ils sont extrêmement nombreux, ces gens privés de tout ce que Salomon et moi-même nous considérons comme l'unique bien de la vie, et qui sont malgré cela pleinement heureux. Je regardai plus loin autour de moi. Je sondai la vie d'immenses masses humaines, aujourd'hui et dans le passé. J'en vis donc qui avaient compris le sens de la vie, qui avaient su vivre et mourir, ils n'étaient pas deux, ni trois, ni dix, mais des centaines, des milliers, des millions. Et à la différence de mon ignorance à moi, tous, quels que fussent le caractère, leur intelligence, leur éducation, leur situation, ils connaissaient le sens de la vie et de la mort, ils travaillaient tranquillement, supportaient les privations et les souffrances, vivaient et mouraient, en voyant non pas de la vanité, mais un bien. Je finis par aimer ces gens. Plus je sondais leur vie, celle des vivants et celle des morts dont j'avais entendu parler ou que je connaissais par mes lectures, plus je les aimais, et plus ma vie à moi me semblait facile. Au bout de deux années de cette vie, je connus un bouleversement qui se préparait en moi depuis longtemps et dont les prémices m'habitaient depuis toujours. Il arriva que la vie de notre milieu, des gens riches et savants me parut non seulement dégoûtante, mais elle perdit pour moi tout son sens. Tous nos actes, nos raisonnements, nos sciences, nos arts, tout m'apparut sous un jour nouveau. Je compris que tout cela n'était que jeu, et que ce n'était pas là qu'il fallait chercher du sens. En revanche, la vie de tout le peuple travailleur, de toute l'humanité, occupée à créer la vie, m'apparut sous son jour véritable. Je compris que c'était la vie à l'état pur, et que le sens donné à cette vie était la vérité même, et je l'acceptai.

Auteur: Tolstoï Léon

Info: Confession, traduction Luba Jurgenson, Pygmalion, p. 81 à 84.

[ simplicité ] [ s'écouler ] [ sans complication ] [ prolétaires ] [ existences pragmatiques ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson