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flots

... Je regarde les vagues légères d'un nouveau jour sur l'Atlantique.

Le bateau laisse de chaque côté de sa proue une déchirure blanche, bleue et sulfurique d'eau, d'écume et d'abîmes remués.

Ce sont les portes de l'océan qui tremblent.

Au dessus passent les minuscules poissons volants, faits d'argent transparent.

Je reviens de l'exil.

Je regarde longuement ces eaux sur lesquelles je navigue vers d'autres eaux : les vagues tourmentées de ma patrie.

Le ciel d'une longue journée couvre tout l'océan.

Puis la nuit viendra qui cachera de son ombre une fois encore le grand palais vert du mystère.

Auteur: Neruda Pablo

Info: J'avoue que j'ai vécu, p 332

[ mer diurne ]

 

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vocabulaire

...J'aime tant les mots... Les mots inattendus... Ceux que gloutonnement on attend, on guette, jusqu'à ce qu'ils tombent soudain... Termes aimés... Ils brillent comme des pierres de couleurs, ils sautent comme des poissons de platine, ils sont écume, fil, métal, rosée... Il est des mots que je poursuis... Ils sont si beaux que je veux les mettre tous dans mon poème .

Et alors je les retourne, je les agite, je les bois, je les avale, je les triture, je les mets sur leur trente et un, je les libère... Je les laisse comme des stalactites dans mon poème, comme des bouts de bois poli, comme du charbon, comme des épaves de naufrage, des présents de la vague

Tout est dans le mot.

Auteur: Neruda Pablo

Info: J'avoue que j'ai vécu, p 80

[ dilection ] [ plaisir ] [ termes ] [ écriture ]

 

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humanisme

Je veux vivre dans un monde où les êtres seront seulement humains, sans autres titres que celui-ci, sans être obsédés par une règle, par un mot, par une étiquette... 

... Je veux que l'immense majorité, la seule majorité : tout le monde puisse parler, lire, écouter, s'épanouir. Je n'ai jamais compris la lutte autrement que comme un moyen d'en finir avec la lutte. Je n'ai jamais compris la rigueur autrement que comme un moyen d'en finir avec la rigueur.

J'ai pris un chemin car je crois que ce chemin nous conduit tous à cette aménité permanente. Je combats pour cette bonté générale, multipliée, inépuisable.

...Il me reste malgré tout une foi absolue dans le destin de l'homme, la conviction chaque jour plus consciente que nous approchons de la grande tendresse. 


Auteur: Neruda Pablo

Info: J'avoue que j'ai vécu, p 344

[ espérance ]

 

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femme-par-homme

Elle était si belle qu'on oubliait son humble fonction. Je me mis à penser à elle. Comme s'il se fut agi d'une bête sauvage, d'un animal venu de la jungle, elle appartenait à un autre monde, un monde à part. Je l'appelais sans résultat. Plus tard, il m'arriva de lui laisser sur son chemin un petit cadeau, une soierie ou un fruit. Elle passait indifférente... Sa sombre beauté avait transformé ce trajet misérable en cérémonie obligatoire pour reine insensible.

Un matin, décidé à tout, je l'attrapai avec force par le poignet et la regardai droit dans les yeux. Je ne disposais d'aucune langue pour lui parler.Elle se laissa entrainer sans un sourire et fut bientôt nue sur mon lit. (...) Notre rencontre fut celle d'un homme et d'une statue. Elle resta tout le temps les yeux ouverts, impassible. Elle avait raison de me mépriser. L'expérience ne se répéta pas.

Auteur: Neruda Pablo

Info: J'avoue que j'ai vécu, pp.151-152

[ forcée ]

 

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Asie

Je comprenais que de l'autre côté de l'air bleu et du sable doré, au-delà de la forêt primordiale, au-delà des serpents et des éléphants, il y avait des centaines, des milliers d'êtres humains qui chantaient et qui travaillaient au bord de l'eau, qui chassaient et qui pétrissaient des poteries ; et aussi des femmes ardentes qui dormaient nues sur les nattes légères, à la clarté des étoiles immenses. Mais comment aborder ce monde vibrant sans être considéré autrement que comme un ennemi ?
Pas à pas je découvris l'île. Une nuit, je traversai tous les faubourgs obscurs de Colombo pour assister à un dîner mondain. D'une maison dans l'ombre s'élevait la voix d'un enfant ou d'une femme qui chantait. Je fis arrêter mon rickshaw. Arrivé à deux pas de l'humble seuil je fus surpris par une odeur qui est celle, caractéristique, de Ceylan : un mélange de jasmin, de sueur, d'huile de noix de coco, de frangipanier et de magnolia.

Auteur: Neruda Pablo

Info: La solitude lumineuse

[ exotisme ] [ Sri Lanka ]

 

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déclaration d'amour

Je ne t’aime pas telle une rose de sel,

topaze, œillets en flèche et propageant le feu :

comme on aime de certaines choses obscures,

c’est entre l’ombre et l’âme, en secret, que je t’aime.



Je t’aime comme la plante qui ne fleurit,

qui porte en soi, cachée, la clarté de ces fleurs,

et grâce à ton amour vit obscur en mon corps

le parfum rassemblé qui monta de la terre.



Je t’aime sans savoir comment, ni quand, ni d’où,

je t’aime sans détour, sans orgueil, sans problèmes :

je t’aime ainsi, je ne sais aimer autrement,



Je t’aime ainsi, sans que je sois, sans que tu sois,

si près que ta main sur ma poitrine est à moi,

et si près que tes yeux se ferment quand je dors.

Auteur: Neruda Pablo

Info: 100 sonnets d'amour

[ unicité ]

 

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décor diluvien

Je dirai pour commencer cette évocation des jours et des années de mon enfance que le seul personnage que je n'ai pu oublier fut la pluie. La grande pluie australe qui tombe du Pôle comme une cataracte, depuis le ciel du cap Horn jusqu'à la Frontière. Sur cette Frontière - Far West de ma patrie - je naquis à la vie, à la terre, à la poésie et à la pluie. Ayant beaucoup vu et beaucoup circulé, il me semble que cet art de pleuvoir qui s'exerçait comme une subtile et terrible tyrannie sur mon Araucanie natale a cessé d'exister. Il pleuvait des mois entiers, des années entières. La pluie tombait en fils pareils à de longues aiguilles de verre qui se brisaient sur les toits ou qui arrivaient en vagues transparentes contre les fenêtres ; et chaque maison était un vaisseau qui regagnait difficilement son port sur cet océan hivernal. Cette pluie froide du sud de l'Amérique n'a pas les violences impulsives de la pluie chaude qui s'abat comme un fouet et qui disparait en laissant le ciel bleu. Bien au contraire, la pluie australe se montre patiente et continue à tomber interminablement du haut du ciel gris.

Auteur: Neruda Pablo

Info: J'avoue que j'ai vécu, incipit

[ incessantes averses ]

 

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oser

Il meurt lentement

celui qui ne voyage pas,

celui qui ne lit pas,

celui qui n'écoute pas de musique,

celui qui ne sait pas trouver grâce à ses yeux.



Il meurt lentement celui qui détruit son amour-propre,

celui qui ne se laisse jamais aider.



Il meurt lentement celui qui devient esclave de l'habitude

refaisant tous les jours les mêmes chemins,

celui qui ne change jamais de repère,

ne se risque jamais à changer la couleur de ses vêtements

ou qui ne parle jamais à un inconnu.



Il meurt lentement celui qui évite la passion et son tourbillon d'émotions,

celles qui redonnent la lumière dans les yeux et réparent les cœurs blessés.



Il meurt lentement celui qui ne change pas de cap lorsqu'il est malheureux au travail ou en amour,

celui qui ne prend pas de risques pour réaliser ses rêves,

celui qui, pas une seule fois dans sa vie, n'a fui les conseils sensés.



Vis maintenant!

Risque toi aujourd'hui !

Agis tout de suite !

Ne te laisse pas mourir lentement !

Ne te prive pas d'être heureux !

Auteur: Neruda Pablo

Info:

[ poème ] [ vivre ] [ aventurer ]

 

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Asie

Parmi mes souvenirs de Ceylan, je revois une grande chasse à l'éléphant.
Les éléphants étaient devenus trop nombreux dans un certain secteur et au cours de leurs incursions endommageaient maisons et cultures. Durant plus d'un mois, au long d'un fleuve, les paysans, avec du feu, des brasiers et des gongs, obligèrent peu à peu les troupeaux sauvages à reculer vers un coin de la forêt et à s'y rassembler.
Nuit et jour, les flammes et le bruit des instruments inquiétaient les grands animaux qui se déplaçaient comme un fleuve lent vers le nord-ouest de l'île.
Puis arriva le jour du kraal. Les palissades obstruaient une partie de la forêt. Par un étroit couloir je vis entrer le premier éléphant qui se sentit aussitôt pris au piège. Il était trop tard. Des centaines d'autres s'avançaient dans le corridor sans issue. L'immense troupeau de près de cinq cents éléphants était dans l'impossibilité d'avancer ou de reculer.
Les mâles les plus puissants se dirigèrent vers les palissades en essayant de les briser, mais derrière celles-ci surgirent d'innombrables lances qui les arrêtèrent. Alors ils se replièrent au centre de l'enclos, décidés à protéger les femelles et leurs petits. Leur défense et leur organisation étaient émouvantes. Ils lançaient un appel angoissé, une sorte de hennissement ou un coup de trompette, et dans leur désespoir déracinaient les arbres les plus faibles.

Auteur: Neruda Pablo

Info: La solitude lumineuse

[ littérature ]

 

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termes

...Tout ce que vous voudrez, oui, monsieur, mais ce sont les mots qui chantent, les mots qui montent et qui descendent... Je me prosterne devant eux... Je les aime, je m'y colle, je les traque, je les mords, je les dilapide.. J'aime tant les mots... Les mots inattendus... Ceux que gloutonnement on attend, on guette, jusqu'à ce qu'ils tombent soudain... Termes aimés . Ils brillent comme des pierres de couleurs, ils sautent comme des poissons de platine, ils sont écume, fil, métal, rosée... Il est des mots que je poursuis... Ils sont si beaux que je veux les mettre tous dans mon poème... Je les attrape au vol, quand ils bourdonnent, et je les retiens, je les nettoie, je les décortique, je me prépare devant l'assiette, je les sens cristallins, vibrants, éburnéens, végétaux, huileux, comme des des fruits, comme des algues, comme des agates, comme des olives. Et alors je les retourne, je les agite, je les bois, je les avale, je les triture, je les mets sur leur trente et un, je les libère. Je les laisse comme des stalactites dans mon poème, comme des bouts de bois poli, comme du charbon, comme des épaves de naufrage, des présents de la vague... Tout est dans le mot... Une idée entière se modifie parce qu' 'un mot a changé de place ou parce qu'un autre mot s'est assis comme un petit roi dans une phrase qui ne l'attendait pas et lui a obéi... Ils ont l'ombre, la transparence, le poids, les plumes, le poil, ils ont tout ce qui s'est ajouté à eux à force de rouler dans la rivière, de changer de patrie, d'être des racines.

Auteur: Neruda Pablo

Info: J'avoue que j'ai vécu, LES MOTS

[ vocables ] [ vivants ] [ vecteurs ] [ polysémiques ] [ plastiques ] [ univers ]

 

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