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spectacle

Soudain, Buffalo Bill entre dans l'arène. Il fait un tour de piste à cheval et vient saluer. Les applaudissements retentissent. Des femmes se tiennent debout sur les chaises, dans une odeur de créosote et de crottin. Le présentateur annonce alors un épisode extraordianire : "La mort de Sitting Bull, avec son véritable cheval et sa vraie cabane, recueillis par les soins de Buffalo Bill lui-même." C'était donc çà ! Rien n'arrête le démon de la mise en scène. Rien ne remplit assez le tiroir-caisse. Et aussitôt les curieux se pressent, la foule veut mieux voir. On ne voit jamais assez. il ya quelque chose de grand et de beau, ou peut-être de très affreux et de très vulgaire, qui nous échappe toujours...

Auteur: Vuillard Eric

Info: Tristesse de la terre, p. 80

[ USa ] [ consumérisme ] [ naïveté ] [ public ] [ far-west ]

 

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lignée animale

Pourtant les ancêtres de ce cheval faisaient à peine la taille d'un chien. Ils roulaient leur ventre dans l'herbe et vivaient sur toute la surface du globe. C'est seulement par une terrible malchance que le dernier venu de cette famille - celui-là même qui porte Moguer sur son dos -, adapté à la course, à l'attelage, à la fois rapide, robuste, capable de transporter de lourdes charges, proliférera en Asie mais disparaîtra d'Amérique. Il sera chassé dans les vallées de la Dordogne, domestiqué en Ukraine, dressé à Sumer. Et il parcourra le monde, traçant ses chemins dans la boue, portant l'homme très loin, telle une autre partie du corps qui aurait quatre jambes et serait haute et belle. Mais le plus souvent, ce n'est ni la paix ni l'amour qu'il annonce, c'est la guerre !

Auteur: Vuillard Eric

Info: Conquistadors, p. 121

[ équidés ] [ évolution ] [ homme-animal ]

 

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jungle primaire

La forêt était une grande bête sombre, un long couloir de feuilles et de pluie. Et cette énorme fertilité de la nature avait quelque chose d'écoeurant.

Lianes, serpents géants, gommes, résines, baumes, tout n'était que vie, mort. Chaque instant, cent choses naissaient et cent autres mouraient, pourrissaient. Ici, la vie offrait tout ce qu'elle savait faire de beau et de précieux, tout ce qu'elle pouvait baver de ronces et de venin. Ici, la vie suintait de toutes parts son secret de jaune et de vert. C'était comme au cœur d'une ruche, là où la reine pond ses œufs, sans cesse. Et certains arbres, même, saignaient. Les Indiens s'approchaient d'eux en silence, et leur coupaient doucement le ventre. Ils pendaient à leur tronc de grandes cuillères et recueillaient leurs larmes crémeuses. Ces larmes coulaient très lentement, comme tout ce qui a lieu au fond des choses.

Auteur: Vuillard Eric

Info: Conquistadors

[ interdépendance ]

 

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pressentiment

Et peu importe que ce matin-là Hélène ait vu ou non, parmi la foule hurlante, les Juifs accroupis, à quatre pattes, forcés de nettoyer les trottoirs sous le regard amusé des passants. Peu importe qu'elle ait ou non assisté à ces scènes ignobles où on leur fit brouter de l’herbe. Sa mort traduit seulement ce qu'elle ressentit, le grand malheur, la réalité hideuse, son dégoût pour un monde qu'elle vit se déployer dans sa nudité meurtrière. Car au fond, le crime était déjà là, dans les petits drapeaux, dans les sourires des jeunes filles, dans tout ce printemps perverti. Et jusque dans les rires, dans cette ferveur déchaînée, Hélène Kuhner dut sentir la haine et la jouissance. Elle a dû entrevoir - en un raptus terrifiant -, derrière ces milliers de silhouettes, de visages, des millions de forçats. Et elle a deviné, derrière la liesse effrayante, la carrière de granit de Mauthausen. Alors, elle s'est vue mourir. Dans le sourire des jeunes filles de Vienne, le 12 mars 1938, au milieu des cris de la foule, dans l’odeur fraîche des myosotis, au cœur de cette allégresse bizarre, de toute cette ferveur, elle dut éprouver un noir chagrin.

Auteur: Vuillard Eric

Info: L'ordre du jour

[ prescience ] [ entre deux guerres ] [ prémonition ]

 

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