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Paris

Quand le luxe me fait envie, je vais me promener autour de la Madeleine. C’est un quartier riche. Les rues sentent le pavé de bois et le tuyau d’échappement. Le tourbillon qui suit les autobus et les taxis me soufflette la face et les mains. Devant les cafés, les cris que je perçois une seconde semblent sortir d’un porte-voix qui tourne. Je contemple les automobiles arrêtées. Les femmes parfument l’air derrière elles. Je ne traverse les boulevards que lorsqu’un agent interrompt la circulation.

Auteur: Bove Emmanuel Bobovnikoff Dugast Vallois

Info: Mes amis

[ zone huppée ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

pompette

L’air frais du dehors ne chassa pas mon ivresse. La rue, pleine de monde, était floue comme quand on essaie les lunettes de quelqu’un. Les têtes des gens ressemblaient à des masques. Les phares des automobiles passaient à la hauteur de mon ventre. J’avais du coton dans les oreilles. Les moteurs de taxis avaient un air de ferraille chaude, sans valeur. Le trottoir bougeait sous mes pieds, comme quand on se pèse. On eût dit une rue de rêve, avec des lumières n’importe où.

Auteur: Bove Emmanuel Bobovnikoff Dugast Vallois

Info: Mes amis

[ bourré ] [ alcool ] [ vision du monde ] [ description ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson

femme-par-homme

Mon visage était proche du sien. Ses lèvres tremblaient avec plus de délicatesse que celles d’un homme. Elle s’appliquait à ne pas me résister, parce que dans son esprit j’étais celui qu’elle devait aimer, qui ne se présenterait qu’une fois. Elle croyait à l’occasion. Elle avait toujours peur de la mal discerner. L’exception lui servait de pierre de touche. Aussi, à cause de ce qu’il y avait d’exceptionnel en ma présence dans sa chambre, eut-elle la certitude que j’étais cette occasion qu’elle attendait depuis longtemps.

Auteur: Bove Emmanuel Bobovnikoff Dugast Vallois

Info: Armand, éditions Sillage, Paris, 2020, page 66

[ calcul ] [ premier baiser ] [ opportunité ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

écrivain

Sais-tu qu’à chaque livre nouveau, j’ai l’impression d’approcher un peu plus de ce que je veux faire. Et ce que je veux faire n’est pas du tout ce que tu peux t’imaginer. Pour moi, il faut qu’un roman soit, non pas le récit de quelque aventure ou inquiétude, mais une peinture la plus simple possible de la vie. Un homme qui écrit se croit un petit Dieu. Il doit créer un monde. Et il sera d’autant plus grand que le monde créé par lui sera vaste et vivant.

Auteur: Bove Emmanuel Bobovnikoff Dugast Vallois

Info: Correspondance avec son épouse Louise (1928) Extrait de la biographie d’Emmanuel Bove, "La vie comme une ombre", de Raymond Cousse et Jean-Luc Bitton

[ création ] [ défini ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

petit boulot

Sur la place Saint-Michel, un homme, coiffé d’un chapeau melon, donnait des prospectus.

Il m’en tendit plusieurs.

Personne ne s’encombre de ces papiers. Il faudrait sortir la main d’une poche, prendre le prospectus, le froisser, le jeter. Quel travail !

Moi, j’ai pitié de ces distributeurs.

J’accepte toujours ce qu’ils m’offrent. Je sais que ces hommes ne sont libres qu’après avoir distribué plusieurs milliers de morceaux de papier.

Les gens qui passent dédaigneusement devant ces mains qui donnent au lieu de recevoir, m’irritent.

Auteur: Bove Emmanuel Bobovnikoff Dugast Vallois

Info: Mes amis

[ rejet ]

 
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relations humaines

S’il arrive que ces gens qui m’ennuient, que je trouve ridicules pour une raison ou une autre, sont obligés de me laisser plus tôt que je ne l’avais prévu, je souffre profondément. J’essaie alors, par tous les moyens, de les suivre, au risque de passer pour indiscret. Je leur propose de les accompagner, de les attendre. Je leur demande si réellement je suis de trop. Et quand, sous le prétexte de ne pas m’obliger à une corvée, ils se débarrassent de moi, il m’arrive, devant le fait accompli, de pousser un cri de joie.

Auteur: Bove Emmanuel Bobovnikoff Dugast Vallois

Info: Journal écrit en hiver, Flammarion, 1983, page 34

[ paradoxe ] [ déchirement ] [ tiraillement ] [ solitude ] [ libération ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

tristesse

Assis sur le lit, je regardai mon habit neuf, qui n’avait plus de raison d’être, et le désordre de ma chambre dans l’air frais du matin.

J’avais un mal de tête violent. Je songeai à ma vie triste, sans amis, sans argent. Je ne demandais qu’à aimer, qu’à être comme tout le monde. Ce n’était pourtant pas grand’chose.

Puis, subitement, j’éclatai en sanglots.

Bientôt, je m’aperçus que je me forçais à pleurer.

Je me levai. Les larmes séchèrent sur mes joues.

J’eus la sensation désagréable qu’on éprouve quand on s’est lavé la figure et qu’on ne se l’est pas essuyée.

Auteur: Bove Emmanuel Bobovnikoff Dugast Vallois

Info: Mes amis

[ division subjective ] [ intériorisation du regard extérieur ]

 
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réveil

Je posai mes lèvres sur son front et non sur ses joues pour n’avoir pas à l’embrasser deux fois. Je levai la tête. Elle passa son bras autour de mon cou et me serra contre elle. Nous ne parlions pas parce que le matin nous avions la paresse d’articuler le moindre mot. Par un accord tacite, nous ne nous disions même pas bonjour.

Nous restâmes ainsi un long moment. Je caressais ses seins qui ne sont pas sensibles, ses hanches, ses épaules moites de crème, évitant le grain de beauté qui lui fait mal.

Elle avait refermé les yeux sans s’être regardée dans une glace. Couchée près de moi, sa vraie nature prenait le dessus. Elle ne s’évertuait plus à être femme, ni coquette, confiante qu’elle était en me sentant contre elle.

Auteur: Bove Emmanuel Bobovnikoff Dugast Vallois

Info: Armand, éditions Sillage, Paris, 2020, pages 44-45

[ femme-par-homme ] [ couple ]

 

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relations humaines

"J’aime quelqu’un", m’a-t-elle dit. Je ne sais pourquoi ces mots quelconques ont subitement fait naître en moi une grande pitié pour elle. Je ne sais pourquoi cette façon de m’annoncer une nouvelle aussi importante m’a montré une Madeleine sans défense. J’ai eu le pressentiment qu’elle allait être dominée, qu’elle allait souffrir encore davantage, parce que je ne serais plus là pour la comprendre. Ce dernier mot me dévoile tout à coup une vérité à laquelle je n’avais pas encore songé. La compréhension la plus profonde, la compréhension qui aujourd’hui m’était apparue comme la base de tout amour, est inutile. Il ne sert à rien de comprendre ses semblables. La compréhension profonde n’ajoute rien à l’amour. Oui, la lassitude qui pèse sur moi est quelque chose d’effrayant. J’ai passé la quarantaine, et me voilà comme au début de l’existence.

Auteur: Bove Emmanuel Bobovnikoff Dugast Vallois

Info: Journal écrit en hiver, Flammarion, 1983, page 191

[ altérité radicale ] [ stagnation ]

 

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tristesse

Je ne suis pas neurasthénique, ni sentimental. Je ne suis rien de particulier. D’où vient alors que je ressemble à ce point à une épave ? Si on était entré en coup de vent au moment où je pleurais, je me serais dressé comme si rien n’était et j’eusse fait ce qu’on m’aurait proposé avec la gaieté nécessaire, comme si jamais je n’avais souffert. Ce n’est pourtant pas de la comédie tout cela. Je ne me trompe pas. Je pleure. Je souffre et je ne peux rien contre moi-même, et je vis comme tout le monde. Je suis incapable d’envisager une autre existence. C’est surtout cela qui m’étonne, de pleurer ainsi et tout de suite après de ressembler au premier venu. J’ai les occupations de tout le monde, je vais au théâtre, je suis gai, et au fond de moi-même, il y a toujours quelque chose qui n’est pas heureux, quelque chose d’insatisfait.

Auteur: Bove Emmanuel Bobovnikoff Dugast Vallois

Info: Journal écrit en hiver, Flammarion, 1983, page 43

[ apparences ] [ masque ] [ division subjective ] [ simultanéité ]

 

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