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rendez-vous galants

Était-il donc tellement naïf et inexpérimenté qu'il ne pouvait pas distinguer une jolie femme d'une laide ?

Non, il n'était pas à ce point dépourvu d'expérience, il avait déjà connu plusieurs femmes et il avait eu avec elles toutes sortes d'intrigues, mais il s'était toujours beaucoup plus soucié de lui-même qu'il ne s'était occupé d'elles. Considérons par exemple ce détail remarquable: il se rappelait exactement comment il était habillé le jour où il était sorti avec une telle, il savait que tel et tel jour il portait un pantalon trop large et qu'il en était malheureux, il savait qu'un autre jour il portait un sweater blanc dans lequel il se faisait l'effet d'un sportif élégant, mais il ne se rappelait absolument pas comment était habillées ses amies.

Oui, c'est en effet remarquable : à l'occasion de ses brèves aventures, il se livrait, devant la glace, à de longues et minutieuses études de sa propre personne, alors qu'il n'avait qu'une perception globale et superficielle de ses vis-à-vis de sexe féminin ; il se souciait beaucoup plus de l'image qu'il donnait à sa partenaire que de l'image que celle-ci lui offrait. Cela ne veut pas dire que c'était pour lui sans importance si la jeune femme avec qui il sortait était belle, ou ne l'était pas. Bien au contraire. Car, outre qu'il était vu lui-même par les yeux de sa partenaire, tous deux étaient vus et jugés ensemble par les yeux des autres (par les yeux du monde), et il tenait beaucoup à ce que le monde fût satisfait de son amie, sachant qu'en la personne de son amie, son choix, son goût, son niveau seraient jugés, donc lui-même. Mais précisément parce qu'il s'agissait du jugement des autres, il n'osait pas trop se fier à ses propres yeux ; jusque-là, au contraire, il s'était contenté de prêter l'oreille à la voix de l'opinion générale et de s'identifier à elle.

Auteur: Kundera Milan

Info: Risibles amours, traduit du tchèque par François Kérel, éditions Gallimard, 1986, page 230

[ apparences ] [ tenues ] [ vêtements ] [ narcissisme ] [ inconsistance ] [ superficialité ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson

écriture

Or, le romancier n’est le porte-parole de personne et je vais pousser cette affirmation jusqu’à dire qu’il n’est même pas le porte-parole de ses propres idées. Quand Tolstoï a esquissé la première variante d’Anna Karénine, Anna était une femme très antipathique et sa fin tragique n’était que justifiée et méritée. La version définitive du roman est bien différente, mais je ne crois pas que Tolstoï ait changé entre-temps ses idées morales, je dirais plutôt que, pendant l’écriture, il écoutait une autre voix que celle de sa conviction morale personnelle. Il écoutait ce que j’aimerais appeler la sagesse du roman. Tous les vrais romanciers sont à l’écoute de cette sagesse supra-personnelle, ce qui explique que les grands romans sont toujours un peu plus intelligents que leurs auteurs. Les romanciers qui sont plus intelligents que leurs oeuvres devraient changer de métier.

Mais qu’est-ce que cette sagesse, qu’est-ce que le roman ? Il y a un proverbe juif admirable : L’homme pense, Dieu rit. Inspiré par cette sentence, j’aimerais imaginer que François Rabelais a entendu un jour le rire de Dieu et que c’est ainsi que l’idée du premier grand roman européen est née. Il me plaît de penser que l’art du roman est venu au monde comme l’écho du rire de Dieu.

Mais pourquoi Dieu rit-il en regardant l’homme qui pense ? Parce que l’homme pense et la vérité lui échappe. Parce que plus les hommes pensent, plus la pensée de l’un s’éloigne de la pensée de l’autre. Et enfin parce que l’homme n’est jamais ce qu’il pense être. C’est à l’aube des Temps modernes que cette situation fondamentale de l’homme, sorti du Moyen-Âge, se révèle : Don Quichotte pense, Sancho pense, et non seulement la vérité du monde mais la vérité de leur propre moi se dérobent à eux. Les premiers romanciers européens ont vu et saisi cette nouvelle situation de l’homme et ont fondé sur elle l’art nouveau, l’art du roman.

Auteur: Kundera Milan

Info: L'art du roman, p186

[ littérature ] [ instinct ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

honte

Litost est un mot tchèque intraduisible en d'autres langues. Sa première syllabe, qui se prononce longue et accentuée, rappelle la plainte d'un chien abandonné. Pour le sens de ce mot je cherche vainement un équivalent dans d'autres langues, bien que j'aie peine à imaginer qu'on puisse comprendre l'âme humaine sans lui.

Je vais donner un exemple : l'étudiant se baignait avec son amie étudiante dans la rivière. La jeune fille était sportive, mais lui, il nageait très mal. Il ne savait pas respirer sous l'eau, il nageait lentement, la tête nerveusement dressée au-dessus de la surface. L'étudiante était irraisonnablement amoureuse de lui et tellement délicate qu'elle nageait aussi lentement que lui. Mais comme la baignade était sur le point de prendre fin, elle voulut donner un instant libre cours à sont instinct sportif et elle se dirigea, d'un crawl rapide, vers la rive opposée. L'étudiant fit un effort pour nager plus vite, mais il avala de l'eau. Il se sentit diminué, mis à nu dans son infériorité physique, et il éprouva la litost. Il se représenta son enfance maladive sans exercices physiques et sans camarades sous le regard trop affectueux de sa mère et il désespéra de lui-même et de sa vie. En rentrant tous deux par un chemin de campagne ils se taisaient. Blessé et humilié, il éprouvait une irrésistible envie de la battre. Qu'est-ce qui te prend ? lui demanda-t-elle, et il lui fit des reproches ; elle savait bien qu'il y avait du courant près de l'autre rive, il lui avait défendu de nager de ce côté-là, parce qu'elle risquait de se noyer - et il la frappa au visage. La jeune fille se mit à pleurer, et lui, à la vue des larmes sur ses joues, il ressentit de la compassion pour elle, il la prit dans ses bras et sa litost se dissipa.

[...]

La litost est un état tourmentant né du spectacle de notre propre misère soudainement découverte.

Auteur: Kundera Milan

Info: Le livre du rire et de l'oubli

 

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Ajouté à la BD par miguel

overdose musicale

En 1921, Arnold Schönberg proclame que, grâce à lui, la musique allemande restera pendant les cent prochaines années maîtresse du monde. Douze ans plus tard, il doit quitter l’Allemagne à jamais. Après la guerre, en Amérique, comblé d’honneurs, il est toujours sûr que la gloire n’abandonnera jamais son œuvre. Il reproche à Igor Stravinsky de penser trop à ses contemporains et de négliger le jugement de l’avenir. […] Schönberg est mort en 1951. Pendant les deux décennies suivantes, son œuvre est saluée comme la plus grande du siècle, vénérée par les plus brillants des jeunes compositeurs qui se déclarent ses disciples ; mais ensuite elle s’éloigne des salles de concerts ainsi que de la mémoire. Qui le joue maintenant vers la fin du siècle ? Qui se réfère à lui ? Non, je ne veux pas me moquer sottement de sa présomption et dire qu’il se surestimait. Mille fois non ! Schönberg ne se surestimait pas. Il surestimait l’avenir. 

A-t-il commis une erreur de réflexion ? Non. Il pensait juste, mais il vivait dans des sphères trop élevées. Il discutait avec les plus grands Allemands, avec Bach, avec Goethe, avec Brahms, avec Mahler, mais, si intelligentes qu’elles soient, les discussions menées dans les hautes sphères de l’esprit sont toujours myopes envers ce qui, sans raison ni logique, se passe en bas : deux grandes armées se battent à mort pour des causes sacrées ; mais c’est une minuscule bactérie de la peste qui les terrassera toutes deux. 

Schönberg était conscient de l’existence de la bactérie. Déjà, en 1930, il écrivait : "La radio est un ennemi, un ennemi impitoyable qui irrésistiblement avance et contre qui toute résistance est sans espoir" ; elle "nous gave de musique [...] sans se demander si on a envie de l'écouter, si on a la possibilité de la percevoir", de sorte que la musique est devenue un simple bruit, un bruit parmi des bruits.

La radio fut le petit ruisseau par lequel tout commença. Vinrent ensuite d’autres moyens techniques pour recopier, multiplier, augmenter le son, et le ruisseau devint un immense fleuve. Si, jadis, on écoutait la musique par amour de la musique, aujourd’hui elle hurle partout et toujours, "sans se demander si on a envie de l’écouter", elle hurle dans les haut-parleurs, dans les voitures, dans les restaurants, dans les ascenseurs, dans les rues, dans les salles d’attente, dans les salles de gymnastique, dans les oreilles bouchées des walkmen, musique réécrite, réinstrumentée, raccourcie, écartelée, des fragments de rock, de jazz, d’opéra, flot où tout s’entremêle sans qu’on sache qui est le compositeur (la musique devenue bruit anonyme), sans qu’on distingue le début ou la fin (la musique devenue bruit ne connaît pas de forme) : l’eau sale de la musique où la musique se meurt.

Auteur: Kundera Milan

Info: L'ignorance, éditions Gallimard, 2023, pages 165-166

[ diffusion moderne ] [ dégoût ] [ saturation ] [ omniprésente ] [ postérité ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson