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concevabilité

La possibilité étant donc définie comme ce qui peut être, on constate qu’elle doit être envisagée de deux façons différentes, selon qu’on a plutôt égard au pouvoir de réalisation (le couteau peut couper, Dieu peut tout) : c’est la possibilité relative à la capacité d’un sujet ; ou selon qu’on a plutôt égard à ce qui rend non-impossible ce pouvoir de réalisation (c’est en quelque sorte la possibilité de la possibilité) : c’est la possibilité absolue, dite aussi intrinsèque, ainsi nommée parce qu’elle consiste dans la compatibilité (la non-contradiction) des éléments constitutifs de la nature du sujet. […] La possibilité absolue, c’est donc, en dernière analyse, la possibilité de l’essence. […]

Ces deux sortes de possibilités, si on en radicalise la notion, vont évidemment en des sens opposés : la première vers la pure puissance indéterminée, la seconde vers l’ordre et la détermination. On peut d’ailleurs se demander ce qu’il reste de "possible" dans la possibilité intrinsèque ou absolue, puisque, identifiée simplement à l’essence de la chose considérée en elle-même, elle est conçue indépendamment de sa réalisation éventuelle. Cela exige réflexion.

Que disons-nous quand nous disons que, existant ou non, le cercle est possible ? Simplement que sa possibilité ne dépend pas de sa présence effective dans le monde des réalités cosmiques. Mais cette possibilité, c’est-à-dire cette essence, est bien en elle-même et dans l’ordre métaphysique, une réalité. C’est même une réalité éternelle et nécessaire. Au degré métaphysique, c’est-à-dire dans l’ordre divin, tout ce qui est possible est nécessairement réel : tout ce qui peut être est, sinon l’Être divin ne serait pas toute chose […]. […] les possibles absolus, ce sont les Idées divines ou essences de tout ce qui est créable, mais envisagées en elles-mêmes, en dehors de leur rapport à leur existenciation par l’acte créateur de Dieu. Chez Aristote, qui distingue cependant les possibles intrinsèques des autres possibles, mais qui ignore l’idée de création et rejette les Idées platoniciennes, la réponse est moins aisée. Il semble bien que le possible n’est tel, chez lui, que relativement à son éventuelle réalisation : tout ce qui est possible se réalise nécessairement, si l’on prend en compte une durée assez longue […]. Alors que chez saint Thomas, il y a une multitude (non quantitative) de possibles qui ne viendront jamais à l’existence, qu’il appelle les "non-étants" (non-entia) : ils n’ont pas été, ne sont pas et jamais ne seront, mais Dieu les connaît. […]

Avec les "non-étants", nous avons véritablement affaire à de purs possibles intrinsèques que "Dieu a décidé de ne jamais réaliser" mais qui, cependant, ne sont pas un pur néant puisqu’"ils existent de quelque manière dans la puissance de Dieu comme dans un principe actif ou bien dans sa bonté comme dans une cause finale" [De la vérité, question 2, article 8]. […] Au demeurant, l’importance de ces "non-étants" ou purs possibles ne saurait être sous-estimée, puisqu’il y va proprement de la transcendance divine : que le créable déborde incommensurablement le créé est une conséquence rigoureuse de l’infinité de l’Essence créatrice. Il ne s’agit donc nullement d’une curiosité théologique.

Auteur: Borella Jean

Info: Penser l'analogie, L'Harmattan, Paris, 2012, pages 99-102

[ théologie-philosophie ] [ définition ] [ virtualité ]

 
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rhétorique

Mais enfin il faut bien en venir à l’événement qui se produit au cours du Ve siècle (av.J.-C.) et qui interrompt brutalement (ou progressivement, nous n’en savons rien) la tradition gnomique. Culturellement, cet événement est constitué par l’apparition des Sophistes. On peut sans doute hésiter sur la nature historique de ce phénomène culturel, sur le nombre et la fonction exacte de ces hommes qui, tels Protagoras ou Gorgias, parcouraient la Grèce en tous sens, et faisaient métier de la parole. On ne saurait, croyons-nous, hésiter sur sa signification métaphysique : il s’agit essentiellement d’une corruption de la parole, du logos (indissociablement raison et discours), qui de moyen devient fin en soi et s’enivre d’une puissance indéfinie. Ce qui le prouve, c’est évidemment la guerre que Socrate leur livre, dans les dialogues de Platon, parce que ces corrupteurs du verbe doivent être vaincus avec leurs propres armes, si bien qu’on pourrait définir tout le platonisme comme une anti-sophistique. Mais c’est aussi le fait irrécusable que la parole, qui était d’abord prophétie de l’Etre, devient

Source de profit. Parole à vendre au plus offrant …

Ainsi les mots sont-ils déliés du lien qui les unissait au choses ; leur amarre ontologique est rompue, ils peuvent flotter "librement " sur la mer des passions humaines ; la parole n’a plus de poids.

Pour rendre compte d’un tel bouleversement, il faut bien supposer une sorte de mutation de la pensée humaine, qui préfigure, deux mille ans avant, celle qui se produira avec l’apparition du monde moderne, et qui fut, elle aussi liée à une crise du langage et de la pensée, le nominalisme. Cette mutation peut être décrite de deux façons. C’est d’abord un changement dans l’orientation profonde de l’intelligence humaine, qui cesse d’être tournée activement vers la lumière de la Réalité divine, c’est-à-dire qui refuse d’être pure réceptivité à l’égard de l’acte illuminant du Soleil suprême, dans l’humilité parfaite et l’oubli de soi-même. Du même coup elle perd la connaissance des reflets cosmiques du Soleil principiel : elle ne sait plus parler le langage symbolique des choses. C’est ensuite la découverte de sa propre puissance, c’est-à-dire d’elle-même comme d’un instrument universel. En effet, l’intelligence est à la fois vision (ou audition) et relation et relation au service d’une vision ou comme conséquence discursive d’une vision. Si l’intelligence distingue le réel de l’illusoire, c’est en fonction de la vision originelle de l’Etre. Si elle relie telle réalité à telle autre, c’est en vertu de la perception de leur commune essence. Tel est l’ordre naturel des choses. Toutefois, lorsque l’intelligence renonce à la réceptivité contemplative, elle ne perd pas pour autant sa puissance analytique (de distinction et de liaison). Tout au contraire, cette puissance n’étant plus soumise à la vision intellective, s’apparaît à elle-même comme pure capacité. N’étant plus déterminée par son objet transcendant, elle se découvre disponible pour toutes les tâches. Elle est à la fois maîtresse (illusoire) de l’univers, et maîtresse du vrai et du faux : le vrai n’est plus fonction de l’être mais du discours, et c’est là proprement ce qu’on appelle la sophistique.

Auteur: Borella Jean

Info: In : Platon ou la restauration de l'intellectualité occidentale, dans la revue "Etudes traditionnelles" no 471, 1981. * expression littéraire qui se concentre sur la transmission de vérités morales ou de sagesse pratique à travers des phrases courtes et mémorables., à savoir les proverbes, maximes, sentences, aphorismes, etc

[ historique ] [ ergotages ] [ déconnexion ]

 
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métaphysique

Pour saisir la véritable distinction d’intellectus et de ratio, et la juste subordination que l’on doit établir entre eux, il suffit d’interroger la plus que millénaire tradition philosophique de l’Occident latin.

S. Augustin nous présente cette distinction avec toute la clarté désirable. Sa doctrine est simple : si la connaissance humaine commence par la raison qui cherche, elle se termine par l’intellect qui trouve. “La raison est un mouvement capable de distinguer et de relier nos connaissances entre elles ”. Mais : “autre est l’intellect, autre la raison”. L’intellectus ou intelligentia (“l’intellect ou l’intelligence”), en effet, est la faculté supérieure de l’âme humaine, directement illuminée par la lumière divine : “Il y a dans notre âme quelque chose que l’on appelle intellect. Et cette partie de l’âme, que l’on appelle intellect ou esprit, est elle-même illuminée d’une lumière supérieure. Or, cette lumière par laquelle l’esprit est illuminé, c’est Dieu.” […] En somme, la raison se distingue de l’intellect comme la science (en vue de l’action) se distingue de la sagesse (en vue de la contemplation) : “Si donc il existe une exacte distinction de la sagesse et de la science, savoir, qu’à la sagesse appartient la connaissance intellective des choses éternelles, tandis qu’à la raison appartient la connaissance rationnelle des choses temporelles, il n’est pas difficile de juger laquelle est la première et laquelle est la seconde.”

La doctrine de S. Thomas d’Aquin ne diffère guère de celle de S. Augustin. Du moins les distinctions terminologiques sont-elles identiques de part et d’autre. “La raison diffère de l’intellect comme la multiplicité de l’unité ; d’où vient que Boèce, au livre IV du De Consolatione, dit que la raison se trouve dans le même rapport à l’intellect que le temps à l’éternité, et le cercle au centre. C’est en effet le propre de la raison de se répandre en tous sens sur une foule de choses, et d’en tirer, en les rassemblant, une connaissance une et simple. […] Mais à l’inverse l’intellect commence d’abord par la considération de la vérité une et simple, puis saisit en elle la connaissance de tout le multiple, de même que Dieu, par l’intellection de son essence, connaît toute chose. 

Cet intellect, non seulement reçoit en lui les connaissances qui viennent de l’extérieur, en tant qu’intellect passif, mais encore, en tant qu’intellect actif, il illumine la connaissance reçue pour en révéler à lui-même la dimension intelligible, comme un œil qui éclairerait ce qu’il voit. […] De grands thomistes affirment qu’il n’y a pas d’intuition intellectuelle chez S. Thomas (cf. par exemple, Sertillanges, Saint Thomas d’Aquin, Alcan, 1912, t. 1, p. 134). C’est même là la thèse généralement admise. Nous avons expliqué pourquoi elle nous paraissait très incomplète (cf. notre article : "La notion d’intellect chez saint Thomas d’Aquin", publié dans la revue Philosophia perennis, n°3, janvier-février 1970). Rappelons seulement ici que, pour S. Thomas : “la raison et l’intellect diffèrent quant au mode de connaissance, parce que, si l’intellect connaît par simple intuition (simplici intuitu), la raison, elle, connaît les choses discursivement.” (Somme théologique, I, q. 59, a. 1, ad 1). D’autre part, comme nous l’avons rappelé, c’est l’intellect qui [d'après S. Thomas] est béatifié et s’unit à l’Essence divine.

Auteur: Borella Jean

Info: Amour et vérité. La voie chrétienne de la charité, chap. VII : "La constitution de l’Homme selon la méthode philosophique", III, "La tripartition anthropologique", 8, "Intellectus et ratio chez S. Augustin et S. Thomas d’Aquin", L’Harmattan, coll. Théôria, Paris, 2011, pp. 113-116.

[ différences ] [ curiosité instinctive ]

 

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gauche-droite

Le bruit qu’a suscité l’apparition de ce courant de pensée [la nouvelle droite] s’explique aisément. Il est dû à la triple conjonction d’un mouvement d’idées – celui dont Alain de Benoist est le plus vigoureux porte-parole –, du talent d’un journaliste exceptionnel, Louis Pauwels, et de la réaction violente de la gauche française. […] ce qui est nouveau, c’est qu’un hebdomadaire de fort tirage ait accueilli ces idées et les ait répandues avec l’habileté et le succès dont son directeur avait déjà témoigné par le passé, dans d’autres entreprises de presse. Voilà en effet plus de trente ans qu’en France des publications de grande qualité comme Rivarol, Ecrits de Paris, Aspects de la France, Défense de l’Occident, la Revue universelle, et quelques autres, s’efforcent de maintenir une certaine tradition intellectuelle "de droite", sans s’attirer, de la part de la presse de gauche, autre chose que le mépris le plus dédaigneux, celui qu’on accorde à l’adversaire irréductible, mais impuissant. […] Tout change lorsque le journalisme de gauche découvre, avec effarement d’abord, avec rage ensuite, qu’une revue "de droite" au sens propre du terme, dispose de capitaux suffisants pour s’assurer une large diffusion et que, somme toute, ses thèses se répandent et trouvent un écho. Voilà le crime inexpiable, le crime de lèse-majesté, celui qui suscite les mobilisations les plus générales et l’appel le plus véhément aux grandes formules conjuratrices : sus au fascisme, au nazisme, au racisme ! Le ventre immonde est toujours fécond, à nous les immortels principes de 1945 ! C’est Stalingrad ! No pasaran !

Cette irritation de la gauche est bien compréhensible si l’on observe que son règne, depuis trente ans, est sans partage. Une dictature si constante, si répandue, devient une habitude, et une habitude, comme on le sait, est une seconde nature. Dans une sorte de consensus presque tacite, chacun finit par reprendre pour son compte, comme allant de soi, les thèmes les plus communs que notre société met en circulation, si bien que les adversaires politiques en arrivent à tenir un langage identique. […] tous les partis français sont de gauche.

C’est précisément ce consensus que la nouvelle droite a prétendu rompre, d’abord en se situant expressément "à droite", ensuite en soutenant des thèses qui, sur bien des points, prennent l’exact contre-pied des thèses de la gauche intellectuelle, particulièrement en ce qui concerne la valeur de l’individu et l’importance respective des données naturelles et des constructions sociales dans sa formation, enfin en revendiquant un néopaganisme antichrétien, sans doute parce que l’idéologie de gauche apparaît à ces penseurs comme une sorte de "fille aînée de l’Evangile".

[…] Remarquons cependant, avant d’aller plus loin, que les idées de gauche avaient depuis longtemps atteint un degré de fausseté si criant, qu’elles ne pouvaient pas ne pas susciter, quelque jour, une réplique. Car telle est notre thèse : la nouvelle droite n’est rien d’autre que la vieille gauche à l’envers, l’une s’explique par l’autre et naît de l’autre comme sa réciproque, sans qu’aucune des deux puisse prétendre à être autre chose qu’une illustration de la décomposition intellectuelle et morale de notre "civilisation". 

Auteur: Borella Jean

Info: Tradition et modernité, L'Harmattan, Paris, 2023, pages 173 à 175

[ fausse opposition ] [ pensée dominante ] [ historique ] [ caractéristiques ] [ domination ]

 

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philosophie antique

Aristote définit l’âme comme "la forme du corps" ou plus exactement comme "la forme achevée (entélékhéia) d’un corps naturel organisé ayant la vie puissance" [De l’âme, II, 1, 412, a2]. "Forme" ne signifie pas uniquement "figure" ou "enveloppe spatiale" mais plus généralement "ce qui informe", c’est-à-dire ce qui donne, à une "matière", une organisation spécifique. […] La forme pure d’Apollon, pour Aristote, n’existe pas toute seule, à l’état séparé, comme l’Idée chez Platon. Elle n’est réelle qu’en se réalisant dans une matière, laquelle n’a d’ailleurs pas un sens exclusivement "matérialiste", et n’existe pas non plus à l’état séparé.

Parler de l’âme comme forme du corps signifie donc qu’elle est le principe et la cause de tout ce qui, dans le corps, est organisation, structure, ordre et activité. […]

Le corps et l’âme étant inséparables, le problème de leur union ne se pose pas : ils sont deux aspects, distingués par abstraction bien fondée, d’une même réalité. Mais il s’ensuit que l’étude de l’âme fait alors partie de la physique, au sens d’Aristote, c’est-à-dire comme l’étude de tout ce qui fait partie de la nature (physis). […] Est-ce vrai de toute l’âme ? Non, répond Aristote, "car toute l’âme n’est pas nature". Il y a là une difficulté, ou une obscurité, liée à ce que nous avons appelé "le mystère de l’intellect". […]

Les diverses fonctions de l’âme conduisent Aristote à distinguer plusieurs "âmes" dans l’unique âme humaine, et, par là, à retrouver une sorte de tripartition anthropologique. Il identifiera l’âme végétative ou nutritive, commune à tous les vivants – plantes, animaux, hommes -, l’âme animale ou sensitive, commune aux animaux et aux hommes, enfin l’âme pensante ou intellective – ou noétique – propre à l’homme. Une telle tripartition, Aristote l’affirme, ne remet pas en cause l’unité de l’âme humaine. Cependant, ce qui fait difficulté, quant à l’unité, c’est l’existence de l’intellect […].

Qu’en est-il donc de cet intellect ? Sans être identiques au corps, l’âme nutritive et l’âme sensitive sont cependant "quelque chose du corps" ; elles constituent vraiment l’âme naturelle et correspondent à ce que nous appelons l’anima-corpus. Cette âme est si bien la forme du corps qu’il disparaît avec elle […]. Mais l’intellect, lui, est "une âme d’un autre genre" [De l’âme, II, 2, 413, b24] car "il n’est pas raisonnable d’admettre que l’intellect soit mêlé au corps" [III, 4, 429, a24]. […] En conséquence, l’âme humaine n’est pas, chez Aristote, uniquement et exclusivement "forme du corps" car "c’est une fois séparé que l’intellect n’est plus que ce qu’il est essentiellement, et cela seul est immortel et éternel" [III, 5, 430, a23]. Au demeurant, l’origine de l’intellect, nous dit Aristote, vient "du dehors", littéralement "par la porte", thurathen. […] à quelques égards, la doctrine d’Aristote rend plus problématique encore que celle de Platon l’unité de l’être humain, contrairement à une opinion théologique assez répandue qui voit, dans la conception de l’âme forme du corps, le principe assuré de cette unité. […] Saint Thomas [d'Aquin] mobilisera toute la puissance de sa dialectique pour montrer, contre les averroïstes et principalement Siger de Brabant, que ce n’est pas l’intellect qui pense, mais l’homme par son intellect et que c’est là la vraie doctrine d’Aristote.

Auteur: Borella Jean

Info: Amour et vérité, L’Harmattan, 2011, Paris, pages 154 à 156

[ doctrine ] [ résumé ] [ théologie ]

 
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protestantisme

Le souci de l’honneur de Dieu qui hante le cœur de Luther l’entraîne, nous l’avons vu, à une sorte de surnaturalisme radical : plus on abaisse la nature humaine, plus on exalte son Créateur et Rédempteur. Toute immixtion d’une parcelle d’humanité dans l’ordre du divin et dans l’œuvre de justification est pour lui un insupportable blasphème qui déchaîne sa fureur. C’est pourquoi la messe papiste, qui confère au prêtre le pouvoir d’agir in persona Christi en accomplissant un sacrifice réel, est l’abomination et le suprême sacrilège. C’est pourquoi aussi on peut ramener toute son entreprise de réforme à un effort permanent pour effacer les éléments de nature humaine dont l’Eglise catholique consacre la présence en tous ses rites et enseignements. […] Ce n’est d’ailleurs pas seulement l’homme qui "dans sa nature est radicalement corrompu", en sorte qu’il n’y a absolument plus rien de bon en lui, mais c’est aussi la nature extérieure, en sorte qu’elle est totalement étrangère à l’ordre du divin et que rien en elle ne peut servir de matière à une opération sacramentelle […].

La nature fondamentale de la révolte protestante apparaît ici très clairement : c’est un angélisme*. C’est le refus de l’incarnation du Verbe, le refus de l’immanence de l’Incréé dans le créé. C’est la destruction de toutes les formes charnelles du sacré. Jaloux de l’honneur de Dieu, Luther ne comprend pas que la majesté de l’Absolu puisse consentir à la bonté du relatif et à sa dignité de coopérant de la grâce divine. Corrélativement, dans la mesure même où la nature n’est plus le lieu de la grâce, puisqu’elle n’est plus essentiellement destinée à la gloire de la déification, elle conquiert son autonomie propre et peut devenir le lieu de l’activité technique et industrielle. Alors que selon la doctrine catholique (et orthodoxe), le fond de la Création reste de nature paradisiaque et que son utilisation purement profane et mercantile viole la sacralité essentielle du cosmos. D’où la supériorité économique des pays anglo-saxons.

Il résulte de cette négation radicale de la capacité théomorphe du créé que le sens du surnaturel, dont la nature humaine était capable sous l’effet de la grâce divine, devient impossible. La nature humaine est désormais scellée sur elle-même, son indépendance et ses limites. La nature surnaturalisée disparaît et fait place à une nature entièrement et uniquement naturelle, vouée à la domination et à l’exploitation d’un monde entièrement profane. Dans cette nature humaine purement humaine, scellée et fermée sur elle-même, l’eau de la grâce ne peut pas pénétrer.

A l’instant où la perte de ce sens du surnaturel est consommée, l’univers entier de la Révélation devient inconcevable, littéralement impossible.

[* L’angélisme est, par essence, le péché du plus angélique de tous les anges, Lucifer. Lucifer se révolte contre Dieu parce qu’il ne comprend pas que Dieu puisse créer un être aussi éloigné de la splendeur divine qu’est l’homme, et qu’il puisse même s’incarner en lui. La création infra-angélique lui paraît indigne de la Transcendance du Principe. S’instituant le gardien de l’honneur de Dieu contre Dieu lui-même, il se donne pour mission d’effacer cette tache qu’est la création humaine sur le pur miroir de l’univers céleste, de la détruire et d’en empêcher la rédemption dans la gloire.]

Auteur: Borella Jean

Info: Le sens du surnaturel, L'Harmattan, 1997, pages 87 à 90

[ critique ] [ conséquences ] [ sécularisation ] [ naturel-surnaturel ] [ définition ]

 

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apprentissage du langage

[…] la maîtresse d’Helen Keller, Ann Sullivan, s’efforçait d’apprendre à son élève à communiquer à l’aide de signes, alors confondus à des signaux, en tapant d’une manière déterminée selon les cas, dans la paume de l’enfant. Elle voulait ainsi associer à la perception d’un signal la sensation d’un objet. Par exemple, elle plaçait la main droite d’Helen sous un jet d’eau fraîche, pendant que sur l’autre, elle frappait le signal convenu. Dans cette pratique, spontanément behaviouriste, le signe est conçu comme l’index de son référent, qu’il a pour fonction essentielle d’évoquer. On prouvera qu’on a compris ce qu’est un signe si l’on peut user de cet index pour désigner le référent, quand on en a besoin. Tout être capable d’un tel comportement sera réputé savoir "parler". Or, la difficulté étonnante à laquelle se heurta Ann Sullivan, est que la petite Helen, tout en étant à même de communiquer quelques-uns de ses besoins au moyen des signaux que sa maîtresse lui avait appris à utiliser, semblait néanmoins piétiner à la porte d’un monde interdit. Il y avait là pourtant tous les éléments d’une relation de communication : émetteur, récepteur, médium de transmission et code. Plus encore : cet ensemble fonctionnait, mais la petite Helen – elle avait alors six ans – ne savait toujours pas parler.

Le miracle se produisit le 5 avril 1887. Ann Sullivan s’efforçait inlassablement d’épeler le mot tasse dans la main d’Helen, puis lui en donnait une à tenir. "Elle versait ensuite de l’eau dans la tasse, y trempait le doigt de l’enfant, et attendait, espérant qu’Helen réagirait en épelant e-a-u". En vain. Etant descendue au jardin afin de distraire l’enfant, elle s’approcha avec elle d’un puits d’où le jardinier tirait un seau d’eau. Une dernière fois, elle lui mit la tasse dans la main, y fit couler un peu d’eau, et épela water, sur l’autre main, de plus en plus rapidement, cette eau qu’Helen aimait à faire couler sur sa main. Soudain l’enfant lâcha la tasse, et, pétrifiée, laissa une pensée envahir et illuminer son esprit : w-a-t-e-r ! w-a-t-e-r ! cette chose merveilleusement fraîche, cette chose amie, c’était w-a-t-e-r ! Elle venait de comprendre que toute chose a un nom, que toute chose peut être dite ou signifiée, que le signe énonce la chose, ou encore qu’il l’exprime, c’est-à-dire que le rapport qui unit la chose à son index n’est pas celui d’une association entre deux perceptions sensibles […] mais un rapport de représentation, en sorte que le signe w-a-t-e-r s’identifie à la chose merveilleuse tout en en demeurant distinct : il "tient lieu" de la chose. Dans un tel rapport de signification, les deux éléments mis en relation ne sont plus du même ordre. Ils sont bien perçus tous les deux comme deux réalités également sensibles, et de ce point de vue, rien ne permet de les distinguer. Pourtant, dans le rapport de signification, la présence sensible de l’un cesse de valoir pour elle-même, cesse d’être le signal de son existence, qui est ainsi occultée, et se trouve valoir pour l’existence d’un autre, dont elle tient la place. C’est là l’expérience fondamentale de la signification. Les deux éléments sensibles ne sont plus unis par une relation horizontale de juxtaposition, mais par une relation verticale, et purement intellectuelle, de lieutenance.

Auteur: Borella Jean

Info: Dans "Histoire et théorie du symbole", éd. L'Harmattan, Paris, 2015, pages 125-126

[ sourd-muet-aveugle ] [ différence signe-signal ] [ invisible ] [ arrachement sémantique ] [ célèbre anecdote ] [ déclic ]

 

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réforme religieuse

Kant nous paraît un bon luthérien lorsqu'il décrit une "religion dans les limites de la simple raison" (et non de la raison critique). En faisant servir la raison au travail théologique, saint Thomas la soumet à la foi et la surnaturalise. En excluant la raison du seul domaine de la foi, Luther lui donne la liberté de régner en maîtresse dans tout le reste et, en particulier, dans tout ce qui, de la religion, ne relève pas de la foi purement subjective. C'est pourquoi l'oecuménisme ne consiste pas en un effort de rencontre entre deux religions soeurs, entre deux formes du christianisme de même "pression religieuse" (comme on parle de pression atmosphérique), mais entre deux formes du catholicisme, l'une de forte pression, l'autre de basse pression. Et la météorologie nous apprend en quel sens souffle le vent. Ainsi la balance n'est pas égale, le déséquilibre est évident, cela, quelles que soient la bonne volonté et la prudence des intervenants, en vertu de la seule nature des choses. Congédions toute prévention et tout ressentiment, et posons les termes de la rencontre oecuménique de la façon la plus neutre, la plus "indifférente".

Qu'est-ce que la religion protestante doit abandonner d'elle-même pour rencontrer le catholicisme ?

Rien. Il faudrait au contraire qu'elle s'accroisse d'une multitude d'éléments, de croyance et de pratique. Seul celui qui a plus peut abandonner ce plus pour rencontrer celui qui a moins.

On soutiendra peut-être que ce moins, en soi, vaut plus. Admettons-le, cela ne change rien à la chose. Seul le catholicisme peut devenir le protestantisme, parce que le protestantisme est, en fait, un catholicisme transformé et réduit.

Comment la communication oecuménique pourrait elle fonctionner en sens inverse ? A-t-on jamais vu un fleuve remonter sa pente ?

Mais il nous faut maintenant précisément nous interroger sur la nature du principe interne et constitutif du luthéranisme : la justification par la foi. Nous voudrions simplement rappeler que ce principe ne représente pas seulement une hérésie au regard de la théologie, mais encore de la simple philosophie. Le cinq-centième anniversaire de la naissance du Réformateur a d'ailleurs donné lieu à de curieuses manifestations, visant à le transformer en une sorte de Père de l'Église.

Certains le considèrent même comme le plus grand génie du christianisme, comme celui qui a le plus génialement "repensé" la totalité de la religion chrétienne selon sa vérité unifiante la plus authentique. La "révélation" que Luther a eue du Christ constitue, selon eux, la découverte (ou la redécouverte) de la "vraie foi chrétienne".

Les catholiques n'ont que deux choses à faire : demander pardon pour l'inqualifiable conduite d'une Église dont ils sont hélas ! les héritiers, en se débarrassant des "carcans confessionnels" ; et se mettre enfin à l'écoute de ce moine en qui retentit la Parole authentique. Ces procédés, sans effet sur un théologien compétent, sont tout-puissants sur le peuple catholique de bonne volonté, et même sur de nombreux prêtres enclins à ignorer l'importance du savoir doctrinal au nom de la charité. C'est pourquoi nous devons préciser ce qui fait le fond de la théologie luthérienne, savoir, la justification par la foi, apprécier la solidité de son fondement scripturaire*, énoncer les conséquences qui en résultent.

Auteur: Borella Jean

Info: Le sens du surnaturel *Prophète dont les paroles, mises par écrit, appartiennent au canon biblique

[ historique ] [ différences ] [ libéralisme ] [ sentimentalisme ]

 

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sécularisation

Ce qui caractérise le catholicisme, à certains égards, c’est qu’il engage le fidèle dans une tension permanente de l’âme, dans un appel à la sainteté, dans une aventure spirituelle si haute qu’elle ne peut d’abord que nous démontrer notre faiblesse et notre impuissance : nous devons mériter le Ciel et cependant "à l’homme cela est impossible" (Mt 19, 26). Ensuite, il plonge le fidèle dans une société ecclésiale complexe et hiérarchisée où il entre en relation avec de multiples instances et personnes, et où l’on doit, par exemple, distinguer entre la hiérarchie d’ordre et la hiérarchie de juridiction, entre la Tradition, l’Ecriture, le Magistère, la formulation dogmatique et la recherche théologique, etc. Enfin le chrétien est invité à vivre dans un univers rituel et sacré richement diversifié, où le septénaire sacramentel se différencie de la multitude des sacramentaux, où la prière liturgique et le culte sacrificiel s’entourent et se prolongent d’une foule de dévotions et de pratiques. L’adhésion à ce Corps immense exige, chaque fois, nuance, discrimination, foi multipliée et modulée selon la nature de son objet. La religion luthérienne, au contraire, est "raisonnable" parce qu’elle supprime toute notion de mérite (Dieu nous sauve sans nous) ; elle réduit la société ecclésiale à la collectivité des individualités croyantes (abolition du sacerdoce et du pouvoir de juridiction) ; enfin, elle nie toute présence du surnaturel dans l’ordre naturel (d’où dérivait la multiplicité de ses degrés) ou du moins le réduit au strict minimum : la foi présente dans l’âme chrétienne et le Christ présent dans le pain et le vin du "mémorial". Quoi de plus raisonnable, de plus "acceptable" que cette conception ? Elle fait droit à la "folie de la croix" et aux aspirations mystiques, concentrées dans un unique acte de foi […] en même temps qu’elle rejette tout le reste et donc prévient radicalement toutes les occasions de refus dont profite le rationalisme moderne. Sans doute Luther est-il l’adversaire farouche de la philosophie et de la raison […]. Mais ce qu’il réprouve si violemment, c’est l’usage de la raison dans l’ordre de la foi, c’est-à-dire en théologie, où l’on ne doit parler que le langage de l’Ecriture. Dans l’ordre naturel, il n’en va pas ainsi, et lui-même se flatte d’être aussi bon dialecticien que personne.

Il résulte de ce fait que la religion protestante est moins un nouveau christianisme qu’un catholicisme réformé, "débarrassé de tout ce qui l’encombrait inutilement" et ramené à une certaine (et prétendue) simplicité originelle, ce qui signifie, objectivement, un catholicisme diminué. […] mis à part la personnalité de son fondateur, rien de bizarre ou de fondamentalement scandaleux (pour la raison moderne) dans le protestantisme, dès lors qu’on admet le fait de la croyance en Dieu, en Jésus-Christ et dans son Evangile.

Et c’est pourquoi Kant nous paraît un bon luthérien lorsqu’il décrit une "religion dans les limites de la simple raison" (et non de la raison critique) [raison raisonnable et non raison raisonnante]. En faisant servir la raison au travail théologique, saint Thomas la soumet à la foi et la surnaturalise. En excluant la raison du seul domaine de la foi, Luther lui donne la liberté de régner en maîtresse dans toute le reste et, en particulier, dans tout ce qui, de la religion, ne relève pas de la foi purement subjective.

Auteur: Borella Jean

Info: Le sens du surnaturel, L'Harmattan, 1997, pages 50 à 53

[ différences ] [ caractéristiques ] [ rationalité ] [ réforme ]

 
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théologie-philosophie

Nous envisageons donc en Dieu une distinction principielle et surintelligible, celle de l’Essence infinie et de l’Auto-détermination ontologique. Mais leur distinction n’implique aucune séparativité et leur unité aucune contradiction. A cet égard, il est antimétaphysique, sous prétexte de satisfaire aux exigences de la critique heideggérienne et d’échapper au reproche d’ontothéologie, de vouloir chasser l’être hors de la théologie (après que Heidegger s’est efforcé de chasser Dieu hors de l’être), comme s’il faisait obstacle à une véritable approche du divin. Non seulement l’être ne s’oppose pas à l’intelligence du mystère de Dieu, mais encore, comme nous l’avons déjà souligné, pour nous les hommes, il n’y a, en dehors de l’Etre, aucun accès possible à ce mystère : sans ontologie, pas de théologie : "Être est mon nom" dit Dieu dans le Buisson ardent, le Nom par lequel Il veut être connu et invoqué ; de même que, sans théologie, pas d’ontologie véritable, puisque seule l’identification de l’être à l’Etre par excellence qu’est Dieu l’arrache à l’abstraction du concept et le pose dans le mystère de sa transcendance vivante, ce qu’Aristote avait admirablement entrevu ; expliquant que la joie de l’intellect réside dans la contemplation en acte de l’intelligible […].

Mais en outre, et c’est sur ce thème que nous voulons insister, on ne saurait non plus envisager la distinction de l’Être et du Non-Être comme s’il y avait entre les deux une opposition de contradiction, bien que le langage semble nous y inviter. […] Il faut donc admettre la pleine validité du principe de contradiction sur le plan de l’ontologie de la substance. Mais il n’en va plus tout à fait de même dans l’ordre méontologique, à propos duquel on peut bien parler d’un principe de non-contradiction absolue, principe qui est exigé par la pensée elle-même, et qui ne contredit nullement le principe de contradiction. […]

Le dilemme devant lequel est placée la pensée philosophique, c’est en dernière analyse qu’elle ne peut rendre compte de l’être des réalités contingentes sans faire appel à la réalité d’un Être nécessaire et premier, et, qu’en même temps, chacune de ces deux sortes d’être se contrepose à l’autre, en sorte que les êtres contingents relativement à cet Être nécessaire qui pourtant les fait être comme s’ils n’étaient pas (selon une formule mainte fois reprise par les théologiens) ; ce qui est bien paradoxal. La pensée philosophique est ainsi requise, sinon de résoudre ce paradoxe, du moins de le dépasser sans pour autant le supprimer (car il a sa pleine validité sur son propre plan). Elle doit, pour cela, s’efforcer d’entrevoir comment il serait possible que la Réalité divine incréée ne s’oppose pas à la réalité contingente de la créature. Or, cela ne peut se faire par la suppression du Dieu-Être, puisque au contraire la nécessité de l’Être premier est philosophiquement avérée. Si donc on entend dépasser le point de vue strictement ontologique, ce ne peut être qu’en s’élevant à un point de vue qui, loin d’éliminer l’Être, permet de concevoir la condition métaphysique de sa possibilité. S’élever à ce point de vue, ce n’est pas céder à quelque démesure de la pensée, à quelque vertige ascensionnel qui pousserait le philosophe à vouloir monter toujours plus haut, en oubliant toute prudence et toute rigueur. C’est au contraire obéir aux exigences les plus certaines de la pensée philosophique […].

Auteur: Borella Jean

Info: Penser l'analogie, L'Harmattan, Paris, 2012, pages 96 à 98

[ nécessité logique ] [ progression ]

 

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