Nous sommes tous seuls, naissons seuls, mourons seuls et, malgré les magazines de Romance Véritable, nous regarderons tous un jour en arrière et verrons que, malgré nos fréquentations, nous avons été seuls durant tout le trajet. Je ne dis pas solitaire - du moins, pas tout le temps - mais essentiellement, et finalement, seul. C'est ce qui rend le respect de soi-même si important, et je ne vois pas comment on peut se respecter si on doit chercher son bonheur dans le cœur et l'esprit des autres. 

Le "bonheur", ou l' "amour", font partie des termes que je n'ai jamais vraiment compris. Quand on gagne sa vie avec les mots, on finit par s'en méfier. A commencer par de "grands mots" tels que "Bonheu", "Amour", "Honnêteté", "Confiance" : Ils sont bien trop évasifs, et relatifs lorsqu'on vient à les comparer à la précision méchante de "taré", "minable", ou "dingue". Avec ceux-là, je me sens en terrain connu. Ils n'ont pas beaucoup d'épaisseur, donc ils sont faciles à maîtriser. Mais les grands mots, eux, sont coriaces. Et il faut être un prédicateur ou un fou pour les utiliser sans méfiance.

Il y a des moments, toutefois, et celui-ci en est un, ou même en étant dans le juste on se sent à côté. Que dites-vous, par exemple, d'une génération à qui on a enseigné que la pluie est un poison et que le sexe est la mort ? Si faire l'amour peut être fatal et si la fraiche brise printanière d'un après-midi d'été peut transformer un lac bleu cristal en une noire flaque de poison devant vos yeux, il ne reste pas grand-chose à part la TV et d'implacables masturbations. C'est un monde étrange. Quelques personnes deviennent riches et d'autres mangent de la merde et meurent.

Comme la plupart des autres, j'étais un chercheur, un agité, un mécontent, et parfois un stupide fauteur de troubles. Je n'étais jamais assez oisif pour réfléchir longuement, mais je sentais que certains d'entre nous faisaient de réels progrès, que nous avions pris un chemin honnête, et qu'inévitablement les meilleurs d'entre nous allaient réussir. En même temps, je nourrissais le sombre soupçon que la vie que nous menions était une cause perdue, que nous étions tous des acteurs, prenant plaisir au sein d'une odyssée insensée. C'est la tension entre ces deux pôles - d'un côté un idéalisme excité, de l'autre un sentiment de malheur imminent - qui m'a permis de continuer.